samedi 14 janvier 2017

LETTRE DE LAURENT ESNAULT, RÉALISATEUR DE «ECOLE EN BATEAU, L’ENFANCE SABORDÉE» : Pour nous, victimes de l’Ecole en bateau, la prescription a été vécue comme une « double peine ».



LETTRE DE LAURENT ESNAULT, RÉALISATEUR DE «ECOLE EN BATEAU, L’ENFANCE SABORDÉE»

crédit photo Sébastien Wendowski

Pour nous, victimes de l’Ecole en bateau, la prescription a été vécue comme une « double peine ».

Le policier de la brigade des mineurs de Paris qui a enquêté sur l’affaire de l’Ecole en bateau m’a toujours soutenu qu’à cause de la prescription, on ne connaît de cette histoire que la partie émergée de l’iceberg. Selon lui, et nous, anciens élèves de l’Ecole en bateau, nous en sommes tous également persuadés, nous ne connaîtrons peut-être jamais l’ampleur réelle de cette affaire, le nombre de victimes qui auraient dû être au procès sur les plus de 400 enfants qui sont passés par cette école.

Plus d’une trentaine, voire une cinquantaine de plaintes minimum auraient pu être déposées contre des adultes de l’Ecole en bateau. A cause des prescriptions, il ne restait qu’une dizaine de parties civiles au procès qui s’est tenu en mars 2013 à la Cour d’Assises des mineurs de Paris.

14 adultes ont été identifiés comme étant des pédophiles avérés. « Grâce » aux prescriptions, ils n’étaient plus que quatre à la barre…

Pour nous, victimes de l’Ecole en bateau, la prescription a été vécue comme une « double peine ». Personnellement, les deux adultes contre lesquels j’ai porté plainte ont échappé à la justice parce que j’ai mis trop longtemps à me « réveiller », à sortir du déni dans lequel s’enferment la plupart des victimes de pédophiles. Quand j’ai réalisé qu’il était trop tard, cela a été une blessure profonde. C’est ce qui m’a déterminé à réaliser le film « Ecole en bateau, l’enfance sabordée ». Puisque je n’avais plus ma place sur le banc des parties civiles, c’était un moyen pour moi d’apporter ma pierre à l’édifice, d’aider à l’expression de la vérité, de témoigner de ce qui nous était arrivé.

Dans ce film, sur les six victimes qui témoignent, deux ont vu les faits qui les concernaient prescrits. D’autres, qui n’ont pas voulu apparaître à visage découvert, et qui n’ont pas non plus pu porter plainte, se sont aussi confiés à moi. Tous m’ont dit la même chose : ils ont vécu la prescription comme une véritable injustice. Cela a renforcé en eux le sentiment de culpabilité, la culpabilité très lourde d’avoir tant tardé à porter plainte. Même si le procès a eu lieu puisque heureusement d’autres faits n’étaient pas prescrits, c’est pour eux une douleur cachée, insupportable.

Je n’ose pas imaginer la situation dramatique dans laquelle nous aurions tous été plongés si le procès n’avait pas pu se tenir parce que les faits auraient tous été prescrits.

Aujourd’hui, les principaux accusés sont en prison et ne sont théoriquement plus des dangers pour la société. Mais sur les 14 qui ont été identifiés par la police, nous avons la quasi certitude que certains d’entre eux, qui n’ont pas été inquiétés, continuent d’abuser d’autres enfants. Un pédophile ne s’arrête pas tout seul. Il faut que l’action de la justice l’oblige à contrôler ses pulsions. J’ai souvent entendu parler de cas de pédophiles qui disaient en aparté aux policiers venus les appréhender : « Merci de m’aider enfin à arrêter cette spirale infernale…» La prescription n’est donc une bonne chose ni pour les victimes et futures victimes, ni pour les pédophiles eux-mêmes…


Laurent Esnault, mai 2014

Lettre destinée au Sénat postée initialement sur le site stopaudeni.comhttp://stopaudeni.com/lettre-au-senat-ecole-en-bateau


Voir également mon article sur le documentaire de Laurent Esnault d'avril 2014 :   

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