samedi 9 janvier 2016

Nouvel article sur Le Plus de l'Obs : Vidéo de viol présumé sur Snapchat: pas de plainte. Ce n'est pas la preuve du consentement











LE PLUS. Une vidéo montrant un rapport sexuel violent entre une femme et deux hommes circule depuis dimanche soir sur les réseaux sociaux. Dans le film de quatre minutes, "des jeunes qui partent en scooter avec une fille dans une maison. Ils la font boire, ils la droguent et ils la violent". La victime a affirmé ne pas vouloir porter plainte. Une preuve suffisante pour écarter le viol ? Non, affirme Muriel Salmona.




Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par   Barbara Krief   Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Publié le 06 janvier 2016








Un monde où seules 10% des victimes de viol et 2% des victimes de viols conjugaux (sur les 83 000 femmes adultes et les 125 00 mineures qui en subissent chaque année) ont la possibilité de porter plainte en France, ou moins de 2% des viols font l’objet de condamnation (3), où 83% des victimes rapportent n’avoir été ni protégées, ni reconnues (4).

Un monde où rares sont les victimes de viols qui accèdent à des soins spécialisées dispensés des professionnels formés, un monde où les victimes gravement traumatisées doivent organiser seules leur protection, et leur survie avec des conséquences psychotraumatiques qui impactent très lourdement et à long terme leur santé mentale et physique avec des risques suicidaires beaucoup plus importants.

Le viol est un dû pour beaucoup d'hommes

Un monde où une étude de l’Organisation des Nations Unies conduite en 2013 auprès de 10 000 hommes vivant en Asie et dans le Pacifique démontre parfaitement cette banalisation du viol et ce privilège de violer revendiqué par certains hommes.

Alors que 24 % des hommes interrogés reconnaissent avoir violé au moins une fois une femme dans leur vie, le plus souvent dans un cadre conjugal.

La première raison que 75 % d’entre eux invoquent pour l’avoir fait, est qu’ils estimaient que c’était leur dû, et qu’ils avaient droit à une relation sexuelle avec une femme, peu importait si elle était consentante ou non.

La deuxième raison que 58 % d’entre eux rapportent, est qu’ils voulaient s’amuser... Ensuite viennent comme raisons : la volonté de se venger et de punir pour 37 % d’entre eux, et enfin l’alcool pour 27 % (5). 

Un risque qui pèse sur toutes les femmes

Un monde où être née femme scelle votre destin et fait de vous une proie potentielle où que vous soyez, quelle que soit votre histoire, vos croyances, vos engagements, votre milieu d’origine, votre statut social, vos études, votre travail, votre personnalité, votre âge, votre aspect physique. Destin effarant d’être un jour ou l'autre une proie, pour un homme ou un groupe d’hommes, et d’être injuriée, agressée, violée, torturée et tuée… d’être condamnée à vivre dans un monde de non-droits.

Quelle femme n’a pas été harcelée sexuellement traitée de putain ou de salope à un moment de sa vie ? Quelle femme n’a pas été agressée par un exhibitionniste ? Quelle femme n’a pas subi un baiser forcé, une main aux fesses ou sur un sein ? Quelle femme n’a pas eu à "céder" à des avances dans un contexte de contrainte, à "accepter" des actes sexuels qu’elle ne désirait pas et qu’elle n’était pas en mesure de refuser ? Quelle femme n’a pas entendu sous couvert de "désir" des mots de guerre comme "je vais te tirer, t’empaler, te tringler, t’exploser, te défoncer…" ? 

Ce risque pèse sur toutes les femmes depuis leur petite enfance, un regard, une parole, un geste va très tôt leur faire comprendre qu’à tout moment elles peuvent être réduites à un objet sexuel convoité, pour être humiliées et consommées. Et un véritable bourrage de crâne s’opère sur elles avec des stéréotypes, une publicité sexiste et une pornographie mystificatrices et désastreuses qui véhiculent des images dégradées de la femme et hyper-violentes de la sexualité. 

Les internautes ont fait preuve de solidarité

Mais l’espoir est là, des personnes, des collectifs, des associations se mobilisent et mènent sans relâche des actions, des campagnes pour lutter contre ces violences, pour améliorer la protection et la prise en charge des victimes de ces violences, et pour améliorer l’information sur la réalité de ces violences et de leurs conséquences et la formation des professionnels.

Et c’est grâce à une mobilisation exemplaires des internautes qui ont signalé la vidéo et alerté la police qu’une enquête a permis en quelques heures d’identifier les deux hommes et de retrouver la jeune femme toujours dans l’appartement dans un état de choc extrême qui a nécessité son hospitalisation.

Si les internautes choqués par cette vidéo ont fait actes de civisme et de solidarité pour la victime et se sont immédiatement mobilisés, Facebook qui a reçu dans le même temps de très nombreux signalements n’a pas brillé par sa réactivité ou sa prise en compte de la gravité de la situation, ce qui est malheureusement habituel sur les réseaux sociaux (beaucoup d’internautes qui avaient signalé la vidéo ont reçu des réponses négatives quant à sa suppression).



  
1)cf mon article Plaintes pour viol : les victimes continuent de se taire. Des solutions existenthttp://leplus.nouvelobs.com/contribution/1407965-plaintes-pour-viol-les-victimes-continuent-de-se-taire-des-solutions-existent.html

2) definition du viol : "tout acte de pénétration de quelque nature que ce soit commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise" (article 222-23 du code pénal)

3) INSEE-ONDRP, enquêtes Cadre de vie et sécurité de 2010 à 2013. et enquête CVS 2008.

4) Enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, soutenue par l’UNICEF. Rapport rédigée par Laure Salmona consultable sur les sites stopaudeni.com et memoiretraumatique.org

 5) ONU, 2013 ; Jeweks R., 2013. 

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