lundi 30 novembre 2015

Nouvel article de la Dre Muriel Salmona paru dans Le Plus de l'Obs :Attentats à Paris : passé l'état de choc, voilà comment aider les victimes 24 novembre 2015










LE PLUS. Au lendemain des attentats du 13 novembre, la prise en charge psychologique des rescapés est essentielle. Des cellules d'aide ont ainsi été mises en place à Paris et en province. Comment soutenir les victimes, leurs familles, mais aussi les témoins de ces attaques ? Pour Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des victimes, ce travail doit s'effectuer dans la durée.



Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par  Anaïs Chabalier  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Publié le 24 novembre 2015






Passé l’état de choc émotionnel des premiers jours, que toutes les victimes et leur entourage ont ressenti, que va-t-il se passer pour ces personnes dans les semaines, les mois, voire les années qui viennent ? Comment prendre soin d’elles ?

Une prise en charge immédiate est nécessaire

Les actes terroristes atroces perpétrés vendredi 13 novembre à Paris et à Saint Denis sont des événements extrêmement traumatisants pour toutes les personnes qui en ont été victimes et toutes celles qui ont été impliquées plus ou moins directement : leurs proches, celles qui les ont secouru ou ont été témoins extérieurs des attentats, sans oublier toutes celles qui ont déjà vécu des actes criminels et dont le traumatisme se réactive, voire même toutes celles qui ont été exposées à des images traumatisantes et des informations stressantes en boucle.

Les traumatismes psychiques sont de véritables blessures neuro-psychologiques. Ils nécessitent une prise en charge immédiate, ce qui est en général proposé en urgence dans le cadre des cellules d’urgences médico-psychologiques.

Mais les troubles psychotraumatiques s’installent fréquemment dans la durée, parfois pendant des années, parfois de façon décalée, avec de lourds  retentissements sur la santé des personnes traumatisées. Il est alors impératif de continuer à les accompagner et à leur apporter des soins spécialisés.

Réanimer psychologiquement les victimes

Dans un premier temps, les personnes traumatisées ont besoin d’être secourues, sécurisées et protégées de tout stress. Il faut apaiser leur détresse et les sortir de leur état de sidération ou de prostration. Il s’agit de les réanimer psychologiquement, de les ramener dans le monde des humains.

Elles ont également besoin d’être entendues, soutenues et comprises. Il est important qu’elles puissent partager leurs émotions, leurs craintes, leurs questionnements en toute sécurité sans être culpabilisées, et en respectant leur rythme.

Le temps pour se libérer d’un tel traumatisme et pour apaiser une douleur morale si massive est un temps de réparation et d’intégration psychique, qui ne peut pas faire l’économie d’un travail d’élaboration et de mise en sens sur tout ce qui a été vécu et ressenti au moment des attentats et après, sur ce qui s’est passé, sur les terroristes et leurs stratégies, sur les contextes socio-politiques.

Un long et très lourd travail de deuil est à mener également.

Le traumatisme, une bombe à retardement

Pourtant, cette prise en charge dans la durée fait souvent défaut, or sans elle, les atteintes neurologiques sont à l’origine d’une mémoire traumatique (flashbacks, réminiscences intrusives, cauchemars...), qui peut se réactiver, parfois des mois ou des années après les attentats.

Cette mémoire traumatique est une véritable bombe à retardement qui, au moindre lien rappelant l’évènement traumatique, fait revivre à l’identique les pires moments comme une machine à remonter le temps incontrôlable (un cri, un bruit soudain, une douleur, la vue ou l’odeur du sang ou de la poudre, etc.).

C’est très violent, il s’agit d’une véritable torture qui doit absolument être prise en charge. Elle peut se désamorcer et être transformée, grâce à un traitement spécifique, en mémoire autobiographique.

La douleur peut se réactiver

Pour les personnes traumatisées, le temps n’est donc pas celui des médias, ni de toutes les personnes qui les entourent. C’est le plus souvent quand tout le monde cesse d’y penser, que leur douleur, qui était anesthésiée du fait d’un mécanisme de survie neuro-biologique (la dissociation traumatique) va se réactiver.

Ce décalage dans le temps va les mettre en porte-à-faux avec leur entourage, qui n’aura plus la disponibilité qu’il avait au moment des attentats, et qui ne fera pas forcément le lien entre ce mal être et les événements traumatiques.

Les victimes traumatisées, si elles n’ont pas été bien informées ainsi que leurs proches, courent le risque de se retrouver seules avec une effroyable souffrance, sans en comprendre l’origine (le lien peut être difficile à faire à distance), sans la protection, le réconfort, la compréhension, les soins et l’accompagnement nécessaire, en grand danger donc.

La réactivation peut parfois se faire des mois ou des années après le trauma. Pendant ce temps, les personnes sont déconnectées de leur souffrance par une anesthésie à la fois émotionnelle et physique. Il y a peu de signes extérieurs pouvant alerter un non-professionnel, elles n’ont qu’un sentiment de vide, d’être spectatrices de leur vie, et peuvent penser que finalement tout va plutôt bien et qu’elles n’ont pas besoin de soin, ni de soutien : rapidement l’entourage ne va plus se préoccuper d’elles.

Une sidération qui paralyse les victimes

Avoir été exposé, que l’on soit blessé physiquement ou non, à l’effroi, à la volonté de destruction inhumaine des terroristes, et à l’impuissance face à la mort, la détresse semée de façon aussi implacable autour de soi génère une effraction psychique et un état de sidération qui paralyse les représentations mentales et l’activité du cortex cérébral chargé d’intégrer.

Ces personnes en état de choc traumatique se retrouvent soit pétrifiées, dans l’impossibilité de bouger, de crier, de réagir, soit en pilote automatique avec des réactions plus ou moins adaptées. Cette sidération rend impossible le contrôle de la réponse émotionnelle et de la production d’hormones de stress qui rapidement devient extrême (stress dépassé) et représente un risque vital (cardiologique et neurologique) pour l’organisme.

Comme dans un circuit électrique en survoltage, pour éviter que tout ne grille, le cerveau va mettre en place un mécanisme de survie exceptionnel en faisant disjoncter le circuit émotionnel et en isolant la petite structure à l’origine du stress extrême : l’amygdale cérébrale.

Lors de cette disjonction, un cocktail morphine-kétamine inonde l’organisme, et la personne se retrouve déconnectée de ses émotions et de sa perception de la douleur : c’est ce qu’on appelle un état de dissociation traumatique. La disjonction empêche la mémoire émotionnelle et sensorielle d’être intégrée et différenciée par une autre structure cérébrale essentielle : l’hippocampe. Elle va rester piégée dans l’amygdale cérébrale, c’est ce qu’on appelle la mémoire traumatique.

Différentes stratégies de survie

Les personnes traumatisées, tant qu’elles restent exposées au stress, au danger, ou à son rappel omniprésent vont dans l’ensemble rester dissociées et anesthésiées, comme le décrit si bien le journaliste Philippe Lançon dans son dernier article

Et c’est à distance, lorsque plus personne n’en parlera, et qu’elles seront protégées de tout stress, que la mémoire traumatique apparaitra et leur fera revivre la détresse initiale, la sensation de mort imminente avec son cortège d’émotions, de douleurs extrêmes.

Si elles ne sont pas prises en charge et si aucun lien n’est fait alors avec le trauma, elles vont être condamnées à mettre en place des stratégies de survie de deux types : des conduites d’évitement, de contrôle et d’hypervigilance pour éviter toute explosion de mal-être, et des conduites dissociantes pour anesthésier ces ressentis liés à la mémoire traumatique avec des drogues, de l’alcool ou des mises en danger et des conduites à risque.

Ces comportements sont très invalidants et sont un facteur de risque pour la santé des personnes traumatisées (souffrance très graves, risque de suicide et maladies liées au stress et aux conduites addictives). 

Une urgence de santé publique

Pour les personnes traumatisées, ainsi que pour tout l’entourage des victimes, il est donc impératif de savoir reconnaître les blessures psychiques pour tenir compte de leurs manifestations et d’être informé sur les conséquences très lourdes qu’elles peuvent avoir.

Et rappelons pour finir, la nécessité d’une offre de soin accessible, sans frais par des professionnels qualifiés et formés, dans un cadre sécurisé, accueillant et pluridisciplinaire. 

Les centres pouvant proposer ces soins sont rares, les professionnels formés sont trop peu nombreux. Pourtant, il s'agit d'une urgence humanitaire et de santé publique. Les pouvoirs publics doivent donc agir en conséquence pour respecter le droit des victimes à recevoir des soins de qualité.
  

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