mardi 25 novembre 2014

Violences faites aux femmes : les mineures, grandes oubliées des statistiques : nouvel article de Muriel Salmona publié dans Le Plus du Nouvel Obs le 25 novembre 2014







Il est urgent d’exiger des mesures efficaces pour lutter contre ces violences.




LE PLUS. Une violence intolérable. 200 femmes sont violées chaque jour, ce chiffre est cependant loin de l'ampleur du phénomène. Les mineures n'y figurant pas. Quelle est la réalité des violences faites à ces jeunes filles ? Quelles sont les conséquences lorsqu'elles grandissent ? Le décryptage de Muriel Salmona, de l'association "Mémoire Traumatique et Victimologie".


Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par  Mathilde Fenestraz Auteur parrainé par Elsa Vigoureux






À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour l’élimination des violences envers les femmes du 25 novembre 2014, on peut constater en France quelques améliorations bien que le chemin reste encore très long pour que soient réellement respectés les droits des victimes à être protégées, à obtenir justice et réparation et à recevoir des soins coordonnés, spécialisés et accessibles à toutes et tous, avec des centres d’aide d’urgence en nombre suffisant, par des professionnels formés comme l’exige la Convention d’Istanbul, que la France a signée et ratifiée, et qui est applicable et contraignante depuis le 1er aout 2014.
Si des mesures gouvernementales dans le cadre du 4e plan interministériel triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, 2013-2015 ont été prises pour mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales (ordonnance de protection, téléphone grand danger : 39-19) et faciliter les dépôts de plainte et leur traitement, si les violences sexuelles sont enfin intégrées dans ces plans de lutte, si la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) œuvre pour qu’enfin les professionnels de la santé commencent à être formés, force est de constater que le déni, l’absence de reconnaissance et de protection règnent encore en maître et que la justice ne suit pas, ou si peu.


Des victimes qui ont besoin de s'exprimer

Pourtant ce sont les filles – et de loin – qui sont les principales victimes des violences sexuelles, près de 60% des viols et tentatives de viols sont commis sur des mineures. La communication gouvernementale sur les chiffres des violences sexuelles fait état de 86.000 viols et tentatives de viols par an, mais il ne s’agit que des femmes de 18 à 75 ans.

Si on prend en compte les filles de moins de 18 ans, Il faut rajouter au moins 120.000 viols et tentatives de viols, on obtient alors un chiffre de plus de 200.000 viols et tentatives de viols de femmes et de filles par an.

Le constat pour les mineures est encore plus alarmant avec les premiers résultats du questionnaire auprès des victimes de violences sexuelles que mon association Mémoire Traumatique et Victimologie a mis en ligne en mars 2014 dans le cadre de la campagne Stop au déni pour évaluer l’impact sur leur santé, et la protection et la prise en charge dont elles ont bénéficié.

Plus de 1.200 victimes, dont 95% de femmes, ont accepté d’y répondre. Ces victimes semblent avoir eu grand besoin de s’exprimer, elles ont renseigné les 181 questions de notre questionnaire et répondu longuement à de nombreuses questions ouvertes. Elles avaient besoin de faire entendre leur voix, et quand on voit l’état des lieux dressé par les premiers résultats du questionnaire, on ne peut que se dire qu’il est urgent que leur voix soit entendue.

Des conséquences graves sur la santé mentale

Le fait le plus marquant du questionnaire est sans conteste l’âge au moment des premières violences sexuelles. 75% des 1.200 victimes déclarent avoir subi leur première violence sexuelle avant l’âge de 17 ans, 50% avant l’âge de 11 ans, 30% avant 9 ans et 17% avant 5 ans !

Or, il apparaît dans les résultats du questionnaire que les violences sexuelles commises sur un enfant et sur une personne en situation de vulnérabilité entraînent les conséquences les plus graves, qu'il s'agisse de la propension à tenter de se suicider ou de l'impact sur la santé mentale et physique.

En effet, plus de la moitié des répondant-e-s victimes d’une première violence sexuelle avant l’âge de 5 ans ont tenté de se suicider. Les victimes d’inceste sont, elles, 45% à avoir tenté de se suicider (pour 5,5% dans la population générale).

Dans le cas de l’impact sur la santé mentale, il est déclaré comme important par 95% des victimes et ce chiffre monte à 98% pour les victimes de viol par inceste et les premières violences subies avant l’âge de 5 ans. L’impact sur la santé physique est déclaré plutôt important par 79% des victimes de viol par inceste et 79% des victimes ayant subi les premières violences sexuelles avant l’âge de 5 ans.

80% des viols commis par une personne connue

Sans surprise, puisque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu en 2010 que le déterminant principal pour subir des violences est d’en avoir déjà subi, la grande majorité des victimes déclare avoir subi plus d’une violence sexuelle (70%). Cette majorité déclare également s'être sentie en danger au moment des violences (83%), n'avoir bénéficié d'aucune protection (83%) et ne pas s’être sentie reconnue comme victime par la police et la justice (70%).

On sait grâce aux études de victimation que l’immense majorité des violences sexuelles ne sont toujours pas connues, ni reconnues, ni dénoncées, ni donc jugées : moins de 8% des viols (et 2% des viols conjugaux) font l'objet de plainte, alors que 20% des victimes intra-familiales de blessures physiques portent plainte (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP 2008 et 2009).

Le pourcentage de condamnations pour viol est très faible, entre 1,5 et 2%, cela signifie que plus de 235.000 viols et tentatives de viols restent impunis ! Et, comme 80% des viols sont commis par une personne connue, les victimes resteront presque toutes en contact avec leur agresseur, à devoir organiser comme elles peuvent leur protection.

Les situations de vulnérabilité n'entraînent aucun protection

Malgré les lourdes conséquences qui en découlent, la gravité des violences sexuelles ne paraît pas être suffisamment prise en compte par les proches et les professionnels de la justice et de la santé. Quant aux situations de vulnérabilité, elles semblent n’entraîner aucune mesure de protection supplémentaire ou de prise en charge adaptée, bien au contraire.

Alors que les personnes vulnérables sont celles qui subissent le plus de violences sexuelles : enfants comme nous l’avons vu, personnes en situation de maladie ou de handicap physique ou mental-e (quatre fois plus de violences sexuelles), personnes en situation d’exclusion (les femmes sans abri dont on sait qu’elles sont très exposées aux violences sexuelles d’autant plus qu’elles présentent des troubles psychiatriques (étude Samanta, 2010), et les personnes marginalisées, toxicomanes, en situation prostitutionnelle qui sont très exposées (une étude rapporte que 63% des femmes prostituées subissent des viols), et qui sont celles qui ont le plus besoin d’être protégées.

Or, ce sont celles qui sont le plus abandonnées, celles dont on prend le moins en compte la parole et qui seront le moins protégées par la police et la justice. De même, leurs symptômes psychotraumatiques ne seront pas identifiés comme tels mais rapportés à leur âge, leur sexe, leur personnalité, leur maladie ou leur handicap.

Un état de stress post-traumatique chez 80% des victimes

Pourtant, la gravité de l’impact sur la santé mentale et physique est reconnue par toutes les études scientifiques internationales : avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après, si rien n’a été fait pour prendre en charge les victimes, avec un risque de mort précoce par accidents ou suicides, de troubles mentaux (état de stress post traumatique, troubles anxio-dépressifs, personnalité borderline, troubles addictifs, conduites à risque, troubles alimentaires), et de pathologies somatiques (troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, endocriniennes, gynécologiques, auto-immunes, neurologiques, dermatologiques, infections sexuellement transmissibles, des douleurs chroniques et des troubles du sommeil. (Felitti et Anda, 2010).

Les viols ont le triste privilège d'être, avec les tortures, les violences qui ont les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique très élevé chez plus de 80% des victimes de viol, avec la mise en place d'une mémoire traumatique et de troubles dissociatifs qui transforme la vie des victimes en une torture permanente qui leur fait revivre sans fin les pires moments de ce qu’elles ont subi, et les rend étrangères à elles-mêmes.

L’impact des violences sexuelles chez les victimes est non seulement psychologique, mais également neuro-biologique avec des atteintes neurologiques, des perturbations endocriniennes, des réponses au stress, et des altérations épigénétiques. Ces atteintes ont été bien documentées, elles laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM.

Toutes ces conséquences peuvent être évitées ou sont rendues réversibles si des soins sont prodigués.

Il est urgent d'exiger des mesures

Le coût humain des violences sexuelles est alarmant.

Ce qui ressort du questionnaire (dont nous n’avons pas encore les résultats définitifs), c’est l’absence de prise en charge adaptée, de protection et de reconnaissance, alors même que les conséquences sur la santé et la vie affective, familiale et professionnelle des répondant-e-s sont extrêmement importantes.

Toutes ces personnes vulnérables victimes de viol se débattent avec des symptômes qu’elles ne comprennent pas, qui les font souffrir sans fin et les obligent à mettre en place des stratégies de survie coûteuses, handicapantes et parfois dangereuses pour elles (comme les conduites addictives et les conduites à risque), qui sont également des facteurs d'exclusion, de pauvreté, et de vulnérabilité à de nouvelles violences.

Elles sont condamnées à errer dans des parcours de soins aux mieux inadaptés, au pire maltraitants, ce qui constitue un véritable scandale de santé publique.

La lutte contre les violences sexuelles et contre l’impunité de ceux qui les commettent, la protection et le soin des victimes sont une affaire de droit et de puissance publique, il s’agit d’un choix politique. Cela nous concerne toutes et tous.

Et il est urgent d’exiger des mesures efficaces pour lutter contre ces violences et pour les prévenir, d’être enfin solidaires des victimes et d’assurer leur protection, de protéger leurs droits à la justice et à des réparations, et de leur assurer un accès à des soins de qualité.

Les violences sexuelles ne sont pas une fatalité, il ne faut plus les tolérer !


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