dimanche 30 novembre 2014

Lettre à Mesdames et Messieurs les député-e-s : Pourquoi est-il si important que la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles soit votée à l’Assemblée Nationale mardi 2 décembre 2014


Dre Muriel Salmona, présidente de l’association 







Bourg la Reine, le premier décembre 2014

A l’attention de Mesdasmes et Messieurs les député-e-s,

Pourquoi, Mesdames et Messieurs les député-e-s, est-il si important que la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles soit votée à l’Assemblée Nationale mardi 2 décembre 2014 ?
Cette proposition de loi modifiant les délais de prescription de l’action publique pour les viols et les agressions sexuelles sur mineurs a déjà adoptée par le Sénat. Cette loi modifie les articles 7 et 8 du code de procédure pénale en portant le délai de prescription pour les viols et les agressions sexuelles avec circonstances aggravantes de 20 à 30 ans après la majorité (jusqu’à 48 ans), et de 10 à 20 ans après la majorité (jusqu’à 38 ans) pour les autres agressions sexuelles. Cette proposition de loi a fait jeudi 27 novembre l’objet d’une motion de rejet préalable qui n’a pas été adoptée après d’âpres débats.
Cette nouvelle loi est une grande avancée, très attendue par les victimes de violences sexuelles commises quand elles étaient mineures et par toutes les personnes qui les soutiennent et les prennent en charge, même si une imprescribilité aurait été préférable. Elle est une meilleure garantie pour que leurs droits d’accéder à une justice, à une reconnaissance de leur statut de victime et à des réparations soient respectés, et également pour éviter des récidives en empêchant les agresseurs de  faire de nouvelles victimes (un même agresseur peut faire des victimes sur plusieurs décennies et plusieurs générations d’enfants).
  • Elles sont plus fréquentes que sur les adultes : les chiffres sont effarants de 15 à 20% des enfants ont subi des violences sexuelles, et la majorité des viols et des tentatives de viols sont commis sur des mineurs (59% pour les filles et 67% pour les garçons), ces pourcentages rapportés aux études de victimation donnent les chiffres vertigineux de 120.000 filles et 22.000 garçons victimes de viols et de tentatives de viol par an ! Soit un enfant toutes les trois minutes ! 
  • Les premières violences sexuelles ont lieu très tôt, sur les 1200 victimes de violences sexuelles qui ont répondu au questionnaire auprès des victimes de violences sexuelles que mon association Mémoire Traumatique et Victimologie a mis en ligne en mars 2014 dans le cadre de  la campagne Stop au déni pour évaluer l’impact de ces violences sur leur santé, et la protection et la prise en charge dont elles ont bénéficié 75% déclarent avoir subi leur première violence sexuelle avant l’âge de 17 ans, 50% avant l’âge de 11 ans, 30% avant 9 ans et 17% avant 5 ans !.
  • Elles ont lieu principalement dans le cadre familial (30%), et par une personne connue de l’enfant (dans plus de 80% des cas), et elles concernent tous les milieux socio-culturels.
  • Elles entraînent les conséquences les plus graves, qu'il s'agisse de la propension à tenter de se suicider ou de l'impact sur la santé mentale et physique. En effet, les résultats de notre questionnaire révèlent que plus de la moitié des victimes d’une première violence sexuelle avant l’âge de 5 ans ont tenté de se suicider. Les victimes d’inceste sont, elles, 45% à avoir tenté de se suicider (pour 5,5% dans la population générale). En ce qui concerne l’impact sur la santé mentale, dans le cadre du questionnaire il est déclaré comme plutôt important par 95% des victimes et ce chiffre monte à 98% pour les victimes de viol par inceste et les premières violences subies avant l’âge de 5 ans. L’impact sur la santé physique est déclaré plutôt important par 79% des victimes de viol par inceste et 79% des victimes ayant subi les premières violences sexuelles avant l’âge de 5 ans. Les viols ont le triste privilège d'être, avec les tortures, les violences qui ont les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique très élevé chez plus de 80% des victimes de viol, avec la mise en place d'une mémoire traumatique et de troubles dissociatifs qui transforment la vie des victimes en une torture permanente qui leur fait revivre sans fin les pires moment de ce qu’elles ont subi, et les rend étrangères à elles-mêmes avec d’importants troubles de la mémoire. L’impact des violences sexuelles chez les victimes est non seulement psychologique, mais également neuro-biologique avec des atteintes neurologiques, des perturbations endocriniennes, des réponses au stress, et des altérations épigénétiques. Ces atteintes ont été bien documentées, elles laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM.
  • La grande majorité des victimes d’inceste mettent en moyenne 16 ans (enquête d’AIVI 2009) avant de commencer à parler, et il leur faut souvent encore de nombreuses années supplémentaires et des soins pour pouvoir porter plainte. De très nombreuses raisons font que les enfants ne peuvent pas révéler les violences sexuelles qu’ils subissent, en voici 6 principales  :
  1. les agresseurs sont majoritairement des personnes connues de l’enfant (dans 80% des cas), et de la famille (dans plus de 30% des cas), ils ont le plus souvent une autorité sur l’enfant, et des liens affectifs complexes leur permettent d’exercer une emprise sur lui et de le manipuler efficacement pour le faire taire, le culpabiliser, lui faire honte, peur, le menacer et penser que personne ne le croira ; 
  2. les victimes restent très souvent en contact avec leur agresseur à l’âge adulte, particulièrement en cas d’inceste, ce qui entraîne des stratégies dissociatives de survie et une anesthésie émotionnelle qui les empêchent de dénoncer les violences ; 
  3. les victimes enfants ont du mal à identifier et nommer les violences : la plupart des enfants, du fait de leur immaturité et du manque de connaissances lié à leur âge (et nous avons vu que la majorité des victimes étaient très jeunes), mettent beaucoup de temps à comprendre ce qui leur est arrivé, à réaliser qu’on avait pas le droit de leur faire cela, à mettre des mots dessus ; 
  4. les conséquences psychotraumatiques rendent toute évocation des violences très douloureuse, difficile et angoissante, la mémoire traumatique faisant revivre à l’identique des sentiments de terreur et de détresse, tant que la victime ne sera pas soignée et accompagnée spécifiquement, il lui sera très difficile de parler des violences, et la dissociation traumatique entraîne une anesthésie émotionnelle, des troubles de la mémoire et des troubles du repérage temporo-spatial qui vont perturber le récit des victimes ;
  5. Les victimes peuvent avoir de longues périodes d’amnésies et de dissociation traumatique (près de 60% des enfants victimes ont une amnésie partielle des faits, et 40% d’entre eux une amnésie totale qui peut durer de longues années avant que la mémoire leur revienne, souvent brutalement sous forme de flashbacks) (Etudes Brière, 1993 Williams, 1995, Widom, 1996) ; 
  6. le déni et la loi du silence règnent dans notre société et dans l’entourage des victimes, et les empêchent d’être reconnues comme telles.

Depuis 1989, la spécificité et la gravité des violences sexuelles sur les mineurs, la très grande difficulté pour les victimes de les révéler, même arrivées à l’âge adulte, a été de mieux en mieux reconnue par le législateur. Il a d’abord fait courir jusqu’à l’âge de 28 ans la prescription après la majorité pour les viols ; puis en 2004 il en a rallongé le délai pour le porter à 20 ans après la majorité (jusqu’à 38 ans) pour les viols et les agressions sexuelles avec circonstances aggravantes (la loi Perben II du 9 mars 2004).
Mais ces aménagements sont-ils suffisants au vu des très nombreuses années qu’il faut aux victimes pour porter plainte, et de l’abandon où elles sont laissées ?
Actuellement ces crimes restent très peu dénoncés, moins de 10% des victimes de viol portent plainte, et les agresseurs ne sont condamnés que dans 1,5% des cas.. Les plaintes sont classées sans suite, aboutissent à un non-lieu, ou sont très souvent déqualifiées en agressions ou en atteintes sexuelles et correctionnalisées.
Notre questionnaire montre que la grande majorité des victimes déclare avoir subi plus d’une violence sexuelle (70%). Cette majorité déclare également s'être sentie en danger au moment des violences (83%), n'avoir bénéficié d'aucune protection (83%).

Et pour les nombreuses victimes qui, au bout de longues années de calvaire, arrivent enfin à pouvoir porter plainte, se retrouver privées de leurs droits à demander justice du fait de la prescription est vécu comme une très grande injustice, et aggrave leur désespoir. 
Pour leur expliquer cette prescription on leur oppose le droit à l’oubli alors que l’agresseur peut continuer à commettre des violences sexuelles sur d’autres victimes et que les victimes continuent à souffrir : il a été démontré qu’avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le déterminant principal de leur santé mentale et physique même 50 ans après  si rien n’a été fait pour prendre en charge les victimes, avec un risque de mort précoce par accidents ou suicides, de troubles mentaux (Felliti et Anda, 2010).


On leur oppose l’insécurité juridique d’un allongement de la durée de prescription en leur expliquant que plus le temps passe plus il sera difficile de juger, les preuves ayant disparues, et que ce ne sera que parole contre parole alors que rien n’est plus faux. Le ou les agresseur-s peut ou peuvent reconnaître avoir commis les violences sexuelles dénoncées. Les procédures d’enquêtes se fondent sur la recherche de faisceaux d’indices graves et concordants avec : le récit détaillé de la victime, les séquelles physiques et les conséquences psychotraumatiques qu’elle présente, son parcours de vie (fugues, tentatives de suicides, ruptures scolaires, IVG à répétition ou grossesses liés aux viols, etc.), les témoins, les écrits et enregistrements, les comportements et les stratégies de contrainte de l’agresseur, et surtout d’autres victimes du même agresseur qui racontent les mêmes mises en scène et les mêmes contraintes utilisées, parfois sur plusieurs générations d’enfants comme c’est malheureusement le cas dans les familles incestueuses, mais aussi dans des institutions comme nous l’avons vu avec les violences sexuelles commises au sein de l’église, dans l’affaire de l’Ecole en bateau, ou celle du tennis avec de Camaret. La convention d’Istanbul ratifiée par la France et applicable depuis le 1er aout 2014 rappelle que l’impact psychotraumatique sur la victime et la contrainte morale exercée par l’agresseur sur elle, soient prises en compte lors des procédures d’enquête.
La prescription peut alors aboutir à des situations totalement incohérentes ou pour des mêmes faits commis par les mêmes agresseurs, à quelques mois ou années près, des victimes peuvent porter plainte et aller aux assises et d’autres non. Laurent Esnault victime de l’Ecole en bateau et réalisateur d’un documentaire, en témoigne dans une lettre que j’ai remise à la commission du Sénat lors de mon audition
«Plus d’une trentaine, voire une cinquantaine de plaintes minimum auraient pu être déposées contre des adultes de l’Ecole en bateau. A cause des prescriptions, il ne restait qu’une dizaine de parties civiles au procès qui s’est tenu en mars 2013 à la Cour d’Assises des mineurs de Paris. 14 adultes ont été identifiés comme étant des pédophiles avérés. « Grâce » aux prescriptions, ils n’étaient plus que quatre à la barre… Pour nous, victimes de l’Ecole en bateau, la prescription a été vécue comme une « double peine ». 
De même Isabelle Demongeot qui a été la première à dénoncer les violences sexuelles que lui avait fait subir son entraineur de tennis n’a pas pu être sur le banc des parties civiles, mais d’autres victimes pour lesquelles les viols n’étaient pas prescrits ont pu obtenir justice.
Et de toute façon, comme l’a dit M. le député Olivier Faure par rapport à « l’argument  de l’intérêt de la victime elle-même : incapable, après des décennies, d’apporter des preuves et potentiellement soumise aux soupçons d’affabulation, la victime pourrait voir les portes de la justice se refermer comme un piège, dans lequel elle se trouverait en position d’accusée. Mais à qui appartient-il d’en juger ? N’est-ce pas aux victimes elles-mêmes d’apprécier les risques qu’elles courent ?»
Pour toutes ces raisons, les sénatrices UDI Muguette Dini et Chantal Jouanno, considérant que le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles est inadapté au traumatisme des victimes, inadapté à une procédure douloureuse et complexe et que pour porter plainte contre son agresseur, son violeur, la victime doit être physiquement et psychiquement en état de le faire, ont donc déposé une proposition de loi n°368 qui proposait de faire démarrer les délais de prescription à compter du moment où la victime est en mesure de révéler l'infraction, sur le modèle du régime jurisprudentiel applicable aux abus de biens sociaux. 
Mais cette loi n’a pas été votée en l’état car, en faisant dépendre la possibilité de poursuites de l'évolution du psychisme de la victime, elle introduisait une incertitude sur le point de départ du délai de prescription et donnait aux procureurs et aux juges un pouvoir discrétionnaire pour considérer si la victime n’était effectivement pas en état de porter plainte. De plus en supprimant le bénéfice du report de la prescription au jour de la majorité, qui s’applique aujourd’hui de plein droit, il faisait régresser la situation des victimes mineures. L'assimilation au délit d'abus de biens sociaux ne pouvait pas tenir, la Cour de cassation ayant refusé d'étendre le bénéfice de cette jurisprudence à d'autres domaines du droit pénal et ayant réitéré cette position dans sa décision du 18 décembre dernier concernant une victime de viol qui avait présenté une amnésie traumatique. 
La solution, aurait pu être de rendre ces violences imprescriptibles, à l’instar de la Suisse pour les viols d’enfants de moins de 12 ans, et comme l’avait déjà demandé  M. le député Sébastien Huyghe en 2005, et comme le voudraient d’autres député-e-s comme Mme Maina Sage, mais la commission des lois ne souhaitait pas aller jusque-là, pour préserver le caractère exceptionnel de l’imprescribilité pour les crimes contre l’humanité. 
Dans son rapport pour lequel j’ai été auditionnée, le sénateur Philippe Kaltenbach a émis un avis défavorable sur cette proposition de loi en l'état, et a présenté l’amendement voté en discussion générale consistant à allonger le délai de prescription de vingt à trente ans pour les viols sur mineurs : «Voilà la solution que je propose, sachant que, d'après les auditions que j'ai menées, les victimes prennent le plus souvent conscience des faits après 40 ans. La durée de trente ans n'est pas incohérente ; elle est celle retenue pour les crimes de guerre, mais aussi pour les infractions de trafic de stupéfiants ou encore de terrorisme.»
Si le chemin reste long pour sortir du déni, pour reconnaître la réalité et la gravité de ces violences sexuelles et permettre aux enfants victimes d’être protégés, soignés, d’accéder à leurs droits et d’obtenir justice, cette loi est une réelle avancée, et nous vous demandons de la voter mardi 2 décembre.
Comme l’a dit Mme la députée Sonia Lagarde rapporteure de ce texte : « En matière de crimes et délits sexuels commis sur des personnes mineures, notre droit prévoit d’ores et déjà un régime de prescription dérogatoire, compte tenu des phénomènes que je viens de rappeler. Ce texte, comme je l’ai indiqué, ne constitue en aucun cas une révolution ; ce n’est qu’une simple évolution visant à adapter notre droit à un phénomène qui est désormais scientifiquement documenté : l’amnésie traumatique. À plusieurs reprises, le législateur a manifesté son intention de tenir compte de la spécificité de ces faits et de celle de ces victimes afin d’aménager le régime commun de la prescription. Aujourd’hui, il ne s’agit donc que de pousser le dispositif un cran plus loin, et en aucun cas de bouleverser l’équilibre général.»
Au nom des victimes de violences sexuelles dans l’enfance et de tous ceux qui les accompagnent et les prennent en charge nous vous remercions de prendre en compte cette lettre, avec nos sentiments les plus respectueux,
Dre Muriel Salmona
psychiatre, psychotraumatologue
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

Pour plus d’information, quelques-uns de mes articles et ouvrage :
http://www.stopauxviolences.blogspot.fr/2014/04/nouvel-article-de-muriel-salmona-il-est.html
Le livre noir des violences sexuelles, Dunod, 2013 et son blog avec de nombreux articles, dossiers et témoignages : http://lelivrenoirdesviolencessexuelles.wordpress.com

L’impact psychotraumatique de la violence sur les enfants : la mémoire traumatique à l’oeuvre in la protection de l’enfance, La revue de santé scolaire & universitaire, janvier-février 2013, n°19, pp 21-25

le viol, crime absolu parus dans le dossier sur Le traumatisme du viol de la revue Santé mentale, n°176 de mars 2013


Conséquences des troubles psychotraumatiques et leurs mécanismes neurobiologiques sur la prise en charge médicale et judiciaire des victimes de viols http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/doc_violences_sex/cons_troubles_psychotrauma_sur_prise_en_charge_victimes_de_viols.pdf

Et vous trouverez ci-joint deux témoignages de victimes :
Letttre de Laurent Esnault au Sénat, réalisateur de «L’école en bateau, une enfance sabordée»: http://stopaudeni.com/lettre-au-senat-ecole-en-bateau


mardi 25 novembre 2014

Violences faites aux femmes : les mineures, grandes oubliées des statistiques : nouvel article de Muriel Salmona publié dans Le Plus du Nouvel Obs le 25 novembre 2014







Il est urgent d’exiger des mesures efficaces pour lutter contre ces violences.




LE PLUS. Une violence intolérable. 200 femmes sont violées chaque jour, ce chiffre est cependant loin de l'ampleur du phénomène. Les mineures n'y figurant pas. Quelle est la réalité des violences faites à ces jeunes filles ? Quelles sont les conséquences lorsqu'elles grandissent ? Le décryptage de Muriel Salmona, de l'association "Mémoire Traumatique et Victimologie".


Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par  Mathilde Fenestraz Auteur parrainé par Elsa Vigoureux






À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour l’élimination des violences envers les femmes du 25 novembre 2014, on peut constater en France quelques améliorations bien que le chemin reste encore très long pour que soient réellement respectés les droits des victimes à être protégées, à obtenir justice et réparation et à recevoir des soins coordonnés, spécialisés et accessibles à toutes et tous, avec des centres d’aide d’urgence en nombre suffisant, par des professionnels formés comme l’exige la Convention d’Istanbul, que la France a signée et ratifiée, et qui est applicable et contraignante depuis le 1er aout 2014.
Si des mesures gouvernementales dans le cadre du 4e plan interministériel triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, 2013-2015 ont été prises pour mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales (ordonnance de protection, téléphone grand danger : 39-19) et faciliter les dépôts de plainte et leur traitement, si les violences sexuelles sont enfin intégrées dans ces plans de lutte, si la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) œuvre pour qu’enfin les professionnels de la santé commencent à être formés, force est de constater que le déni, l’absence de reconnaissance et de protection règnent encore en maître et que la justice ne suit pas, ou si peu.


Des victimes qui ont besoin de s'exprimer

Pourtant ce sont les filles – et de loin – qui sont les principales victimes des violences sexuelles, près de 60% des viols et tentatives de viols sont commis sur des mineures. La communication gouvernementale sur les chiffres des violences sexuelles fait état de 86.000 viols et tentatives de viols par an, mais il ne s’agit que des femmes de 18 à 75 ans.

Si on prend en compte les filles de moins de 18 ans, Il faut rajouter au moins 120.000 viols et tentatives de viols, on obtient alors un chiffre de plus de 200.000 viols et tentatives de viols de femmes et de filles par an.

Le constat pour les mineures est encore plus alarmant avec les premiers résultats du questionnaire auprès des victimes de violences sexuelles que mon association Mémoire Traumatique et Victimologie a mis en ligne en mars 2014 dans le cadre de la campagne Stop au déni pour évaluer l’impact sur leur santé, et la protection et la prise en charge dont elles ont bénéficié.

Plus de 1.200 victimes, dont 95% de femmes, ont accepté d’y répondre. Ces victimes semblent avoir eu grand besoin de s’exprimer, elles ont renseigné les 181 questions de notre questionnaire et répondu longuement à de nombreuses questions ouvertes. Elles avaient besoin de faire entendre leur voix, et quand on voit l’état des lieux dressé par les premiers résultats du questionnaire, on ne peut que se dire qu’il est urgent que leur voix soit entendue.

Des conséquences graves sur la santé mentale

Le fait le plus marquant du questionnaire est sans conteste l’âge au moment des premières violences sexuelles. 75% des 1.200 victimes déclarent avoir subi leur première violence sexuelle avant l’âge de 17 ans, 50% avant l’âge de 11 ans, 30% avant 9 ans et 17% avant 5 ans !

Or, il apparaît dans les résultats du questionnaire que les violences sexuelles commises sur un enfant et sur une personne en situation de vulnérabilité entraînent les conséquences les plus graves, qu'il s'agisse de la propension à tenter de se suicider ou de l'impact sur la santé mentale et physique.

En effet, plus de la moitié des répondant-e-s victimes d’une première violence sexuelle avant l’âge de 5 ans ont tenté de se suicider. Les victimes d’inceste sont, elles, 45% à avoir tenté de se suicider (pour 5,5% dans la population générale).

Dans le cas de l’impact sur la santé mentale, il est déclaré comme important par 95% des victimes et ce chiffre monte à 98% pour les victimes de viol par inceste et les premières violences subies avant l’âge de 5 ans. L’impact sur la santé physique est déclaré plutôt important par 79% des victimes de viol par inceste et 79% des victimes ayant subi les premières violences sexuelles avant l’âge de 5 ans.

80% des viols commis par une personne connue

Sans surprise, puisque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu en 2010 que le déterminant principal pour subir des violences est d’en avoir déjà subi, la grande majorité des victimes déclare avoir subi plus d’une violence sexuelle (70%). Cette majorité déclare également s'être sentie en danger au moment des violences (83%), n'avoir bénéficié d'aucune protection (83%) et ne pas s’être sentie reconnue comme victime par la police et la justice (70%).

On sait grâce aux études de victimation que l’immense majorité des violences sexuelles ne sont toujours pas connues, ni reconnues, ni dénoncées, ni donc jugées : moins de 8% des viols (et 2% des viols conjugaux) font l'objet de plainte, alors que 20% des victimes intra-familiales de blessures physiques portent plainte (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP 2008 et 2009).

Le pourcentage de condamnations pour viol est très faible, entre 1,5 et 2%, cela signifie que plus de 235.000 viols et tentatives de viols restent impunis ! Et, comme 80% des viols sont commis par une personne connue, les victimes resteront presque toutes en contact avec leur agresseur, à devoir organiser comme elles peuvent leur protection.

Les situations de vulnérabilité n'entraînent aucun protection

Malgré les lourdes conséquences qui en découlent, la gravité des violences sexuelles ne paraît pas être suffisamment prise en compte par les proches et les professionnels de la justice et de la santé. Quant aux situations de vulnérabilité, elles semblent n’entraîner aucune mesure de protection supplémentaire ou de prise en charge adaptée, bien au contraire.

Alors que les personnes vulnérables sont celles qui subissent le plus de violences sexuelles : enfants comme nous l’avons vu, personnes en situation de maladie ou de handicap physique ou mental-e (quatre fois plus de violences sexuelles), personnes en situation d’exclusion (les femmes sans abri dont on sait qu’elles sont très exposées aux violences sexuelles d’autant plus qu’elles présentent des troubles psychiatriques (étude Samanta, 2010), et les personnes marginalisées, toxicomanes, en situation prostitutionnelle qui sont très exposées (une étude rapporte que 63% des femmes prostituées subissent des viols), et qui sont celles qui ont le plus besoin d’être protégées.

Or, ce sont celles qui sont le plus abandonnées, celles dont on prend le moins en compte la parole et qui seront le moins protégées par la police et la justice. De même, leurs symptômes psychotraumatiques ne seront pas identifiés comme tels mais rapportés à leur âge, leur sexe, leur personnalité, leur maladie ou leur handicap.

Un état de stress post-traumatique chez 80% des victimes

Pourtant, la gravité de l’impact sur la santé mentale et physique est reconnue par toutes les études scientifiques internationales : avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après, si rien n’a été fait pour prendre en charge les victimes, avec un risque de mort précoce par accidents ou suicides, de troubles mentaux (état de stress post traumatique, troubles anxio-dépressifs, personnalité borderline, troubles addictifs, conduites à risque, troubles alimentaires), et de pathologies somatiques (troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, endocriniennes, gynécologiques, auto-immunes, neurologiques, dermatologiques, infections sexuellement transmissibles, des douleurs chroniques et des troubles du sommeil. (Felitti et Anda, 2010).

Les viols ont le triste privilège d'être, avec les tortures, les violences qui ont les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique très élevé chez plus de 80% des victimes de viol, avec la mise en place d'une mémoire traumatique et de troubles dissociatifs qui transforme la vie des victimes en une torture permanente qui leur fait revivre sans fin les pires moments de ce qu’elles ont subi, et les rend étrangères à elles-mêmes.

L’impact des violences sexuelles chez les victimes est non seulement psychologique, mais également neuro-biologique avec des atteintes neurologiques, des perturbations endocriniennes, des réponses au stress, et des altérations épigénétiques. Ces atteintes ont été bien documentées, elles laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM.

Toutes ces conséquences peuvent être évitées ou sont rendues réversibles si des soins sont prodigués.

Il est urgent d'exiger des mesures

Le coût humain des violences sexuelles est alarmant.

Ce qui ressort du questionnaire (dont nous n’avons pas encore les résultats définitifs), c’est l’absence de prise en charge adaptée, de protection et de reconnaissance, alors même que les conséquences sur la santé et la vie affective, familiale et professionnelle des répondant-e-s sont extrêmement importantes.

Toutes ces personnes vulnérables victimes de viol se débattent avec des symptômes qu’elles ne comprennent pas, qui les font souffrir sans fin et les obligent à mettre en place des stratégies de survie coûteuses, handicapantes et parfois dangereuses pour elles (comme les conduites addictives et les conduites à risque), qui sont également des facteurs d'exclusion, de pauvreté, et de vulnérabilité à de nouvelles violences.

Elles sont condamnées à errer dans des parcours de soins aux mieux inadaptés, au pire maltraitants, ce qui constitue un véritable scandale de santé publique.

La lutte contre les violences sexuelles et contre l’impunité de ceux qui les commettent, la protection et le soin des victimes sont une affaire de droit et de puissance publique, il s’agit d’un choix politique. Cela nous concerne toutes et tous.

Et il est urgent d’exiger des mesures efficaces pour lutter contre ces violences et pour les prévenir, d’être enfin solidaires des victimes et d’assurer leur protection, de protéger leurs droits à la justice et à des réparations, et de leur assurer un accès à des soins de qualité.

Les violences sexuelles ne sont pas une fatalité, il ne faut plus les tolérer !


Pour lire l'article sur Le Plus du Nouvel Obs cliquez ICI












dimanche 23 novembre 2014

Intervention de la Dre Muriel Salmona à Chambéry au colloque : Les professionnel-le-s face aux victimes de violences conjugales : approches psychologique et juridique, regards croisés le 24/11/2014





Les professionnel-le-s face aux victimes de violences conjugales : approches psychologique et juridique, regards croisés 



A l’occasion du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, les missions départementales aux droits des femmes et à l’égalité de la DDCSPP 73 et de la DDCS 74, en partenariat avec les Conseils départementaux de l'accès au Droit de la Savoie et de la Haute Savoie vous invitent à un colloque dans le ressort de la Cour d’Appel de Chambéry :
« Les professionnel-le-s face aux victimes de violences conjugales : approches psychologique et juridique, regards croisés »

avec la Dre Muriel Salmona présidente de l'association Mémoire Traumatique et Vicimologie
et M. Edouard Durand magistrat formateur à l'ENM

Le lundi 24 novembre 2014, à l’amphithéâtre de Marcoz de 13h30 à 17h30
Université de Savoie, 27 rue Marcoz 73000 CHAMBERY
Inscriptions jusqu’ au 14 novembre auprès de :nathalie.chtouki@savoie.gouv.fr Tel : 04 56 11 06 49


PROGRAMME











Vouloir traiter des troubles du comportements ou des difficultés d’apprentissage des enfants par de la violence ne fait que les aggraver.




LE PLUS. "Que ça te serve de leçon !" C'est parfois ce que disent certains parents après avoir donné une gifle à leur enfant. Seulement la violence n'est-elle pas toujours contre-productive ? Réponse de la psychiatre Muriel Salmona, qui avait déjà pris position contre la fessée et autres punitions corporelles dans une tribune publiée la semaine dernière sur Le Plus.


Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par   Rémy Demichelis  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux
publié le 02 -06-2014





Avec les punitions corporelles et psychologiques, ce qui est recherché en provoquant une douleur, une peur et un stress, c’est avant tout de sidérer l’enfant pour qu’il obéisse immédiatement, et de créer ensuite une aversion par un conditionnement pour qu’il ne recommence pas à avoir le même comportement.

Sidération et conditionnement sont des mécanismes neuro-biologiques traumatiques. Les enfants, du fait de leur immaturité neurologique, ont un cerveau très sensible à la douleur et au stress, bien plus que les adultes, et sont beaucoup plus exposés à des atteintes neurologiques et à des conséquences psychotraumatiques lors de violences  même "minimes". Et contrairement à des idées reçues, le fait qu’ils soient trop petits pour s’en souvenir ne signifie pas qu’il n’en seront pas traumatisés, c’est même l’inverse.

La sidération bloque l’enfant

La sidération est provoquée par une paralysie momentanée du cortex cérébral (la matière grise qui permet de comprendre, d’analyser, de prendre des décisions et d’agir) et de l’hippocampe (le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissages et des repères temporo-spatiaux), elle est liée au choc créé par la peur, la douleur et la surprise (1).

La sidération bloque l’enfant, ce qui est recherché par les punitions, mais lui fait perdre ses moyens. L’enfant sidéré ne va pas pouvoir parler, bouger, mobiliser sa mémoire, ni ses apprentissages.

Il ne ressent plus rien

De plus la paralysie corticale ne permet plus de moduler le stress provoqué par la réponse émotionnelle. L’amygdale cérébrale (petite structure sous-corticale) est à l’origine de cette réponse émotionnelle déclenchée automatiquement en cas de danger. Une fois allumée, elle fait produire par l’organisme des hormones de stress (adrénaline et cortisol) mais elle ne s’éteint pas toute seule, c’est le cortex et l’hippocampe avec leur pouvoir d’analyse de la situation qui peuvent la moduler et l’éteindre.

En cas de sidération, la modulation ne se fait pas, le stress monte et comme il représente un risque vital cardio-vasculaire et d’atteintes neurologiques, un mécanisme de sauvegarde se met alors en place pour éteindre de force la réponse émotionnelle en faisant disjoncter le circuit à l’aide de drogues puissantes sécrétées par le cerveau (2).

Brutalement l’enfant se retrouve alors en anesthésie émotionnelle, il se calme en effet, non parce qu’il l’a décidé mais parce qu’il ne ressent plus rien, ni émotion, ni douleur : il est déconnecté, comme absent et envahi par un sentiment d’irréalité, il peut se sentir spectateur de la situation, c’est ce qu’on appelle la dissociation traumatique.

La paralysie de l'enfant peut énerver le parent

La méconnaissance de ces mécanismes sont souvent à l’origine de recrudescences de violences de la part du parent.

Le parent, satisfait d’abord que l’enfant s’arrête immédiatement, est parfois encore plus énervé par la sidération de l’enfant qui, paralysé, ne répond pas aux questions, ne s’excuse pas, n’obéis pas aux ordres.

L’état de dissociation donne l’impression que l’enfant est indifférent à tout ce qu’il peut lui dire et lui faire, qu’il résiste à la douleur, et qu’il ne veut rien comprendre. Le parent interprète la sidération et la dissociation comme un défi. Le risque est important qu’il redouble de violence pour que l’enfant obtempère et présente ses excuses, ce dont il est incapable en raison de son état.

De plus, face à l’état de dissociation de l’enfant, le parent n’a plus de repères émotionnels, ni d’empathie, lui permettant d’évaluer la souffrance et la douleur qu’il provoque chez l’enfant (ses neurones miroirs ne peuvent pas lui renvoyer d’informations) et de contrôler sa violence en regard.

La mémoire traumatique poursuit l'enfant

Au-delà de la sidération, les violences éducatives ont également pour but de créer chez l’enfant "un conditionnement aversif" (un dressage) par la mise en place d’un autre mécanisme psychotraumatique qui fait suite à la disjonction : une mémoire traumatique. L’interruption des circuits de la mémoire lors de la disjonction empêche la mémoire émotionnelle d’être traitée par l’hippocampe et transformée en mémoire autobiographique et en apprentissage.

La mémoire émotionnelle reste bloquée et non-intégrée dans l’amygdale cérébrale, elle devient une machine à remonter le temps infernale qui fera revivre à l’enfant l’événement traumatisant à l’identique, comme s’il se reproduisait à nouveau, lorsqu’une situation les lui rappellera. Cette reviviscence entrainera les mêmes effets stressants, la même douleur et les mêmes sentiments de peur et d’humiliation que ceux ressentis lors des violences, l’enfant ré-entendra les mêmes phrases, et il sera à nouveau sidéré et dissocié.

Un monde imaginaire pour échapper au traumatisme

Pour échapper à cette mémoire traumatique l’enfant mettra en place des conduites d’évitement et de contrôle, celles-là mêmes qui sont recherchées par la violence éducative (aversion), mais qui pourront par la suite devenir invasives avec des phobies, des blocages, des troubles obsessionnels compulsifs, les enfants s’échappant dans un monde imaginaire, ce qui aura des répercussions sur leur sociabilité et leurs apprentissages.

Cette mémoire traumatique sera également à l’origine d’angoisses, d’une souffrance et d’une culpabilité durable, d’un manque d’estime de soi et de confiance en soi, d’un sentiment d’insécurité permanent, et d’un état de stress qui aura des répercussions sur la santé, l’appétit et le sommeil de l’enfant, ainsi que sur ses capacités de concentration, de mémorisation et son développement psycho-moteur.

Et ces enfants traumatisés en difficulté scolaire, dormant et mangeant mal seront considérés comme difficiles et encore plus à risque de subir des violences par des parents d’autant plus excédés, avec l’installation d’un cercle infernal.

La voix intérieure de la culpabilité

L’enfant, du fait de sa mémoire traumatique, ré-entendra continuellement les phrases culpabilisantes, humiliantes que son parent lui aura dites au moment des corrections : qu’il est nul, qu'il ne fera rien de sa vie, un méchant qui finira mal, quelqu’un de haïssable, etc.

Il ré-entendra les mêmes menaces : que ses parents ne vont plus l’aimer et que personne ne voudra de lui, menaces d’abandon, parfois même menaces de mort. Et l’enfant restera colonisé par ces "phrases assassines" qu’il finira par penser provenir de lui. Il aura une voix intérieure qui sans cesse l’invectivera, et il développera une piètre image de lui-même.

Et cette mémoire traumatique, si rien n’est fait pour la traiter et la désamorcer, s’installe dans la durée, elle perdure à l’âge adulte et devient rapidement de plus en plus difficile à éviter et à contrôler, une autre stratégie plus efficace pour y échapper se met alors en place pour l’éteindre et anesthésier : ce sont les conduites dissociantes.

L'enfant va devenir incontrôlable

Ces conduites dissociantes auront alors l’effet inverse de ce qui était escompté au départ. Il s’agissait de rendre l’enfant plus calme, soumis et obéissant, il va devenir agité, incontrôlable, se mettre en danger et pourra avoir des comportements violents à son tour vis-à-vis de lui-même ou d’autrui.

L’enfant pour s’anesthésier va rechercher compulsivement, sans comprendre pourquoi il le fait, un état de stress le plus élevé possible, que ce soit un stress psychologique ou physiologique, avec une agitation psycho-motrice, des conduites à risque et des mises en danger (jeux dangereux, sports extrêmes, etc.), des comportements violents contre soi ou contre autrui.

Cette production de stress provoque une disjonction qui éteint la mémoire traumatique et tout son cortège de peur, d’angoisse, de détresse et de souffrance.

La prise d’alcool et de drogue aura le même effet anesthésiant. Ces conduites dissociantes sont préjudiciables pour la sécurité et la santé des enfants et des adultes qu’ils seront, elles sont – avec la mémoire traumatique – à l’origine de troubles du comportement et de la personnalité, et également de troubles cognitifs, avec des retentissements sur les études, la vie sociale et professionnelle. Vouloir traiter des troubles du comportements ou des difficultés d’apprentissage des enfants par de la violence ne fait que les aggraver (3).

Enfant violent, futur parent violent

Ces conduites dissociantes expliquent également la reproduction de violences.

Un enfant qui aura subi des violences peut, dans une situation qui les lui rappelle, être envahi par celles-ci, par des cris, des paroles blessantes, des images de coups qu’il sera tenté de reproduire soit sur lui-même, soit sur autrui pour "se calmer", en se dissociant pour échapper à cette flambée de mémoire traumatique.

Il en est de même pour un adulte lorsqu’il se retrouvera confronté avec ses propres enfants à des situations qui allumeront sa mémoire traumatique comme, un refus de manger, des cris, une mauvaise note, etc.

Il sera alors envahi par ce qui se passait dans son enfance : à la fois par sa détresse, les coups, les phrases humiliantes, la colère, voir par la haine de son parent. Cet ensemble peut provoquer chez lui la sensation d’exploser, et déclencher une compulsion à être violent. S’il ne s’oblige pas à se contrôler, il pourra alors reproduire cette scène de son passé en rejouant le rôle du parent violent ce qui lui permettra de se dissocier et d’éteindre son état de stress.

Il pourra alors considérer que c’est l’enfant qui le persécute et le met hors de lui (même si ce n’est qu’un nourrisson), et qu’il mérite donc d’être corrigé (4). Il sera sans pitié comme on l’a été avec lui. Il considérera à tort que l’enfant est intentionnellement méchant et destructeur. Il interprétera en toute incohérence des réactions normales de son enfant dues à l’âge, la fatigue, des douleurs, ou de la fièvre, comme des attaques et des défis à son égard.

Pour les parents la violence est non seulement un outil  pour soumettre leur-s enfant-s, mais également une drogue anesthésiante qui les «calme». Connaître les mécanismes psychotraumatiques leur est essentiel pour renoncer aux violences éducatives et pour ne pas les reproduire sans fin.


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1) On peut visualiser la sidération sur des IRM fonctionnelles
2) Ces drogues endogènes sont comme un cocktail morphine-kétamine
3) Joan Durrant PhD, "Physical punishment of children : lessons from 20 years of research", CMAJ, September 4, 2012, 184 (12)
4) Le petit Loan, bébé de 4 mois est mort, giflé par son père pour avoir refusé le biberon


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