samedi 26 novembre 2011

article de Sandrine Goldschmidt : Les enjeux du traitement judiciaire du viol



Les enjeux du traitement judiciaire du viol


Article de Sandrine Goldschmidt

paru le 26 novembre 2011sur son blog :

À dire d'elles


Dans son dernier livre, Delphine de Vigan raconte l’histoire de sa mère. Elle écrit ceci, après avoir relaté que sa mère a, alors qu’elle même avait environ 10 ans, quelques semaines plus tôt envoyé une lettre à tous les membres de sa famille, filles comprises, où elle révèle que son propre père, l’a violée lorsqu’elle avait 16 ans.

« Pourtant, il ne se passe rien. Nous continons d’aller de temps en temps en week-end à Pierremont, personne ne chasse mon grand-père avec un balai, personne ne lui défonce la gueule sur les marches de l’escalier, ma mère elle-même parle avec son père et ne lui crache pas au visage ».

Un peu plus loin : « quelques mois plus tard, Lucile s’est rétractée. » On apprend ensuite que Lucile -c’est le nom de la mère, s’est tatoué sur le poignet une montre fixée à l’heure de 10h10, celle où son père lui a fait prendre un somnifère pour abuser d’elle.

Enfin, ces mots, écrits par sa fille, des années plus tard : « Et si, incapable de le dire et de l’écrire, Lucile s’était heurtée à un tabou plus profond encore, celui de son état de conscience ? Et si Lucile ne s’était pas évanouie, quoi que tétanisée par la peur, et que Georges avait abusé de son pouvoir , de son emprise, pour la soumettre à son désir, la convaincre d’y céder ?Ensuite, la honte aurait distillé son venin et interdit toute parole, sauf à être travestie. Ensuite, la honte aurait creusé le lit du désespoir et du dégoût ».

Quelques semaines après la révélation des faits à sa famille -restée lettre morte- Lucile a sa première crise de démence. Elle en aura d’autres, et finira par perdre la capacité de travailler, d’avoir la garde de ses filles, et beaucoup plus tard, se suicidera.

Hier, lors du débat à la mairie du 3ème sur les enjeux du traitement judiciaire des violences sexuelles, une magistrate italienne a raconté l’histoire de Lucrèce, qui, violée, en subit toute la honte, et est se tue. Le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin est un épisode de l’histoire de Rome, rapporté par Tite-Live, qui marque l’instauration de la république romaine. Le crime a été révélé et reconnu, mais pour se sauver de la honte, la femme s’est suicidée.

Ces deux histoires à elles seules résument tous les enjeux. Comment faire que la victime ne soit pas la coupable ? Que la honte « change de camp », que la société n’abandonne pas les victimes -les femmes, à des troubles psycho-traumatiques qui les empêchent de vivre et les font adopter des conduites à risque ? Comment faire que la mort ne soit pas la seule issue ou plutôt impasse (dead end en anglais) pour que le crime de viol soit reconnu ?

Ces histoires issues de la réalité, sont confirmées par les chiffres.

Selon des études nombreuses, on arrive à estimer le chiffre du nombre de viols commis chaque année sur des femmes et filles autour de 100 à 120.000. Plus de la moitié des viols commis le sont avant lâge de 18 ans. Et la moyenne des viols sur mineures se situe entre 9 et 12 ans. 12.000 plaintes ont été déposées en un an selon les derniers chiffres. C’est-à-dire que plus de 100.000 ne l’ont pas été. Elles donnent lieu à 3% de condamnations. 1.200 condamnations pour viol. 1% des crimes commis.. 99%, soit environ 100.000 à 118.000 n’ont pas été punis.

80% des viols sont commis par l’entourage. Ils sont le fait de tous les milieux sociaux et toutes les catégories socio-professionnelles. Pourtant, les hommes -qui sont 95% des auteurs de violence- qui se retrouvent en prison sont le plus souvent de catégories dites défavorisées ou d’origine étrangère. A côté de cela, les femmes les plus victimes de viol « extérieur », comme on appelle les viols non commis par un proche, sont les femmes pauvres et les femmes d’origine étrangère.

Ces chiffres nous montrent que le viol est le « crime parfait ». Celui où l’impunité -en particulier des hommes « insoupçonnables » (blancs de catégories sociales favorisées, ou les « bons pères de familles), comme les appelle Lola Lafon, est quasi garantie.

Les sympômes de choc post-traumatique : 80% des victimes de viols, 100% de personnes prostituées, 60% des victimes d’agression sexuelle les subissent, pour une moyenne globale de 24% des victimes de traumatisme en général). Ils se caractérisent par un risque beaucoup plus fort de conduites à risque à l’âge adulte, toxicomanie, alcoolisme, anorexie/boulimie, tentatives de suicide, prostitution qui peuvent la plupart du temps (100% des cas pour les personnes prostituées), lorsque la question est posée, être reliées à des violences sexuelles dans l’enfance ou l’adolescence.

Dernière série de chiffres : que se passerait-il si 100 % des plaintes étaient prises en compte : voici les estimations faites par un-e blogueur-se. Ce ne sont pas des chiffres à prendre à la lettre, mais un ordre de grandeur.

Aujourd’hui, alors que le crime de viol a été reconnu (dans les faits, il l’était déjà théoriquement) en 1980 après une longue lutte des féministes, 50% des viols sont décriminalisés, c’est-à-dire que par souci d’efficacité de la justice (c’est la version officielle), on ne fait pas de procès d’assise, plus long, mais un procès correctionnel, c’est-à-dire qu’on transforme le viol en agression sexuelle. Les peines encourues ne sont pas du tout les mêmes.

On estime que si ces crimes n’étaient pas correctionnalisés, cela provoquerait une augmentation de 11% de la population carcérale.

- les auteurs d’infractions sexuelles représentent 15% de la population carcérale,
- la durée moyenne d’emprisonnement effectif est de 5 ans pour les viols et de 1 an pour les agressions sexuelles.

Si les agresseurs sexuels majeurs étaient jugés avec le même degré moyen d’indulgence que les violeurs, les peines effectuées seraient alors de 2 ans et 4 mois (chiffre obtenu en divisant la peine prononcé par le facteur 1.7 précédemment calculé). Cela provoquerait une augmentation carcérale de 7%. (vous pouvez lire
le détail de la démonstration ici).

Enfin, si toutes les victimes portaient plainte, cela pourrait aller jusqu’à quadrupler la population carcérale et multiplier par 10 le nombre de procès d’assises.

Comment faire que ce crime massif envers les femmes et les enfants, donc envers la société ne reste pas impuni ?

Comment faire pour que la victime ne soit plus la coupable, enfermée non seulement dans des symptômes post-traumatiques , mais aussi dans le silence ?

Comment faire pour que l’institution judiciaire, qui aujourd’hui dispose de lois dispose aussi des outils référentiels pour comprendre qu’elle est en face d’un crime de masse ?

Comment faire pour qu’une fois ceci révélé, l’institution judiciaire ne soit pas emportée par l’explosion de la population carcérale ?

Quelles sont les solutions ?

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judiciaires : il faut revoir la loi en matière de harcèlement, d’agression sexuelle et de viol. Arrêter de correctionnaliser les viols, appliquer l’impossibilité de dénonciation calomnieuse après un non lieu, prendre au sérieux les affaires. Il faut aussi probablement créer un crime de féminicide et d’atteinte au droit de l’enfant à se développer, crimes qui pourraient être jugés à part.

Comme l’a fort justement dit un officier de police du 3ème arrondissement de Paris qui a une grande expérience de l’accueil des victimes, il serait très intéressant de créer au niveau de la police un accueil spécifique pour toutes les violences sexuelles, comme c’est le cas pour la brigade des mineur-es. Cela pourait éviter par exemple qu’il soit impossible de déposer plainte le week-end, de devoir montrer patte blanche pour déposer plainte en région la nuit, pour que les victimes n’aient pas à déposer plainte sous le regard de nombreuses personnes non préparées à entendre ce qu’elles ont à dire. Cela permettait aussi que tous les personnels qui accueillent les victimes soient formés.

Côté justice et tribunaux, il faut les désengorger. Limitons donc les peines et les condamnations pour délits mineurs, et donnons des moyens aux assises. Tous ceux qui constituent des atteintes aux biens, laissons les aux TGI. Les atteintes graves aux personnes, doivent elles aller aux assises !

Mais si l’on imagine bien que le système n’est pas en mesure d’absorber une telle augmentation de son activité, il faut aussi et c’est fondamental, faire de la formation et de la prévention, apprendre à toutes les institutions et à l’ensemble de la population à repérer, croire et prévenir les violences.

On m’a raconté rcemment qu’alors qu’une femme hurlait, visiblement victime de violences, la police ayant été appelée par les voisins, il avait été répondu qu’ils ne pouvaient pas intervenir, parce qu’ils ne pouvaient pas savoir s’il y avait urgence. La femme a fini défenestrée.

Il faut donc qu’une femme qui crie, et que des voisins qui alertent, cela soit considéré comme une urgence. Il faut que comme au Québec, par exemple, des moyens soient donnés pour l’information de tous les personnels amenés à détecter et protéger les femmes et les enfants de la violence.

Les violences sexuelles et conjugales sont tues, mais il y a des symptômes, des signaux d’alerte. Il faut les diffuser. Dans tous les commissariats où il y a eu sensibilisation, il y a eu accueil différent des victimes. L’ensemble de la population doit les connaître. Pour cela, on peut par exemple utiliser le livret édité par les associations Le monde à travers un regard et mémoire traumatique et victimologie

Ecouter, libérer la parole, rappeler la loi, dépister les troubles psycho-traumatologiques, expliquer les mécanismes à l’oeuvre, accompagner, soutenir, orienter, travailler en réseau, prévenir.

Enfin, il faut arrêter d’affirmer qu’on est dans le « parole contre parole ». Quand une femme dit avoir été agressée sexuellement, il n’y a pas de raison a priori de ne pas la croire. Selon les études sérieuses, moins de 3% de fausses allégations existent. Plus de 22% des victimes se rétractent après avoir porté plainte. A cause de la honte et du fait qu‘on fait de la victime la coupable.

Il faut enfin dire, rappeler et appliquer que le présumé consentement n’existe pas. Et réfléchir à la notion de présumé non-consentement. Qui exigerait que le désir sexuel ne soit pas considérer comme un dû, mais comme un partage dont la réciprocité doit être confirmée avant tout passage à l’acte.

Sandrine GOLDSCHMIDT

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