lundi 23 mai 2011

Communique de l'association Memoire Traumatique et Victimologie, 23 mai 2011





COMMUNIQUÉ DE L'ASSOCIATION MEMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE


Le 23 mai 2011,


http://memoiretraumatique.org/



Avec l'inculpation aux Etats-Unis de Dominique Strauss-Kahn pour actes sexuels criminels, tentative de viol et agressions sexuelles, nous avons eu un florilège de réactions mettant en cause la plaignante et minimisant les violences dénoncées. Ces réactions de déni, ces propos sexistes sont les mêmes que ceux que subissent journellement les victimes que nous prenons en charge quand elles dénoncent un inceste, des viols ou des agressions sexuelles au sein du couple, au travail, en institution… Aussi, la quasi totalité de ces victimes ressentent de ce fait un sentiment de solitude, d'incompréhension et d'abandon. Pour toutes ces victimes les parcours judiciaires, sociaux et médicaux sont très difficiles, elles ont rencontré indifférence, déni, mise en doute, non reconnaissance, incompréhension, jugements négatifs, culpabilisations, violences à répétition. Et elles sont de ce fait nombreuses à regretter d'avoir porté plainte.

http://stopauxviolences.blogspot.com/2011/04/bilan-2010-de-lactivite-de-consultation.html


Pourtant la résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unis le 29 novembre 1989 définit comme victime-s « des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subit un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales dans un État membre". La résolution précise qu’une personne peut-être considérée comme victime « que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable » (la présomption d'innocence n'implique pas que la plaignante ne puisse pas être reconnue comme victime, NDLA), et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Ces « dispositions s’appliquent à tous, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, d’âge, de langue, de religion, de nationalité, d’opinion politique ou autre, de croyances et de pratiques culturelles, de fortune, de naissance ou de situation de famille, d’origine ethnique ou sociale, et de capacité physique ». La résolution ajoute que les victimes doivent avoir un accès à la justice et à un traitement équitable, et doivent être « traitées avec compassion et dans le respect de leur dignité » ; elles doivent être informées de leur droits, leur vie privée doit être protégée, leur sécurité assurée ainsi que celle de leur famille, une assistance doit leur être fournie tout au long des procédures, elle précise aussi que les auteurs sont dans l’obligation de restitution et de réparation et que les victimes doivent être indemnisée. Enfin « les victimes doivent recevoir l’assistance matérielle, médicale, psychologique et sociale dont elles ont besoin » et doivent être informées de l’existence de services de santé, de services sociaux, et d’autres formes d’assistance qui peuvent leur être utiles. Elles doivent y avoir facilement accès, et le personnel des services de police et de santé ainsi que celui des services sociaux et des autres services intéressés doit recevoir une formation.

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Cette absence de reconnaissance des violences est due à une tradition de déni de la réalité des violences sexuelles, particulièrement de celles faites aux mineurs, notamment des incestes. Il s’y ajoute une tradition de sous-estimation de leur gravité et de leur fréquence, une tradition de banalisation et de tolérance, voire de justification (idées reçues sur la sexualité masculine et féminine, stéréotypes sexistes). Cette situation est aggravée par la méconnaissance généralisée de la gravité des conséquences sanitaires et sociales de ces violences. Ces conséquences lourdes concernent la santé physique et psychique, mais aussi les capacités cognitives, les apprentissages, la socialisation, la vie sexuelle et amoureuse. Les violences sexuelles augmentent considérablement les risques de suicide, de conduite à risque, d'accidents, de marginalisation et de délinquance, ainsi que les risques d’être à nouveau victime de violences ou d’en devenir un auteur. Ces conséquences sont en rapport avec des mécanismes psychotraumatiques largement méconnus. Il faut rappeler que les violences sont des situations anormales entraînant des conséquences psychotraumatiques normales, fréquentes, graves et durables, qui sont liées à la mise en place de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde à l'origine d'une mémoire traumatique faisant revivre à l'identique les violences avec la même détresse, les mêmes sensations, les mêmes douleurs dès qu'une situation, une perception rappelle l'évènement, et d'une dissociation. Cette mémoire traumatique extrêmement douloureuse transforme la vie en un terrain miné, les victimes n'ont comme solution que la mise en place de stratégies de survie invalidantes : conduites d'évitement, de contrôle et d'hypervigilance pour éviter l'allumage de cette mémoire traumatique, et conduites dissociantes pour l'anesthésier (conduites à risque, mises en danger, consommation d'alcool, de drogue). Les violences subies, particulièrement sexuelles, sont un déterminant majeur de la santé des victimes des années, voire des dizaines d'années plus tard. Pour en savoir plus :

http://memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/origine-et-mecanismes.html


Dans nos sociétés dites civilisées, loi du silence et dénis de justice sont donc la norme pour les violences sexuelles. C'est toujours à la victime de ne pas faire de vagues, de ne pas « détruire la famille, le couple…, de ne pas nuire à un personnage important, d'être loyale, compréhensive, gentille…, et puis ce n'est pas si grave, il y a bien pire ailleurs !....». Le viol est le crime parfait, assurant dans l'immense majorité des cas une impunité totale. Moins de 8% des viols font l'objet d'une plainte, environ 3% d'une procédure judiciaire et environ 1% seulement d'une condamnation. Et cela n'empêche pas que les rares victimes qui ont le courage de porter plainte soient presque toujours suspectées d'exagérer, d'être des menteuses, des folles, des manipulatrices ou des provocatrices qui ont bien cherché ce qui leur est arrivé même quand elle ne sont que des enfants ! (cf l'article de Sokhna Fall, L'éternel détournement de Dolores Haze http://stopauxviolences.blogspot.com/2010/11/article-de-sokhna-fall-sur-lolita-de.html Leur parole n'est pas entendue, ni crue, elles sont à priori soupçonnées de vouloir susciter l'intérêt, de faire parler d'elles, d’avoir été manipulées, de vouloir se venger ou de rechercher des bénéfices financiers.. L'auteur des agressions, souvent un proche ou une personne connue de la victime est en général considéré comme innocent, victime d'une machination que la victime aurait mise en place, d’une incompréhension. La victime n'aurait pas compris qu'il s'agissait d'un jeu, d'humour, ou qu'il était tout simplement amoureux, victime de ses pulsions : « il est comme ça, tu sais bien ! il a des pulsions », « la victime l'a certainement provoqué », « il avait bu, il ne s'est pas rendu compte, il n'a pas compris que la victime n'était pas consentante… ». De plus, il bénéficie des symptômes psychotraumatiques présentés par la victime à la fois pour se disculper (« de toutes façons, elle est folle, incohérente, pas crédible,…etc. ») mais aussi pour agresser en toute sécurité, les victimes étant sidérées, dans un état d’anesthésie émotionnelle, avec un sentiment d’irréalité et des troubles mnésiques.


Pourtant 16% des femmes ont subi dans leur vie un viol ou une tentative de viol (59% avant 18 ans, l'âge moyen pour les mineures étant de 9 ans !), 5% des hommes ont subis des viols ou des tentatives de viols dans leur vie (67% avant 18 ans), bulletin de l’INED 2008 à télécharger, 3% des français déclarent avoir été victimes d'inceste enquête AIVI-IPSOS 2010 à télécharger. Suivant les études et les pays les violences sexuelles toucheraient entre 20 à 30 % des personnes au cours de leur vie. Une étude canadienne a montré que 40% des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. De 39 à 68 % des femmes présentant une déficience intellectuelle seront victimes d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.. Les violences sexuelles sont graves : elles ont le triste privilège de partager avec les tortures le palmarès des violences qui ont les conséquences les plus durables et les plus importantes sur la santé psychique et physique. Elles peuvent faire courir un risque vital et elles sont responsables d'une atteinte à l'intégrité physique et psychique des victimes. Elles font partie de traumatismes qui sont à l'origine des plus forts pourcentages de troubles psychotraumatiques tels que les états de stress post-traumatiques (ESPT) : 80 % des victimes de viols et 60 % de victimes d'agressions sexuelles peuvent présenter des troubles psychotraumatiques (contre 24 % des victimes de traumatismes en général, Astin et Breslau). Ces troubles psychotraumatiques s'installent dans la durée, souvent sur toute la vie si les victimes ne bénéficient pas de prises en charge spécialisée. Particulièrement quand elles ont été commises sur des enfants lors d'inceste, elles ont un impact catastrophique sur la santé physique et psychique des victimes, sur leur personnalité, et sur leur vie sociale, scolaire, professionnelle, personnelle, familiale et amoureuse. Tout comme la torture, la dégradation, l'humiliation, l'atteinte à la dignité humaine génèrent chez les victimes un sentiment de mort psychique, elles se perçoivent comme des survivantes et même comme des « mortes vivantes », leur vie devient un enfer.


Pourquoi ces violences, pourquoi ce déni ? Dans nos sociétés le sexisme, le racisme, les abus de pouvoir, les discriminations vis à vis des plus faibles et des plus dépendants (enfants, handicapés, malades, personnes très âgées) sont loin d'avoir disparu et ont encore de beaux jours devant eux ! Des personnes s'étant proclamées dominantes mettent continuellement en scène une supériorité construite de toute pièce. Il s'agit d'une véritable escroquerie intellectuelle qui réifie des catégories de personnes déclarées comme inférieures, dédiées au bien-être des dominants, servant à alimenter leur toute-puissance et à traiter leurs angoisses et leurs frustrations. Les hommes dominants auront des femmes à leur disposition, les adultes dominants auront des enfants à leur disposition, les employeurs dominants auront des travailleurs à leur disposition, les riches dominants auront des pauvres à leur disposition, les blancs dominants auront des noirs à leur disposition, les soignants dominants auront des malades et des handicapés à leur disposition, etc. Mais pour maquiller ces violences, la domination est présentée comme une nécessité pour le bien de ceux qui en sont victimes. « C'est pour mieux te protéger mon enfant ! ». Aussi les concepts humains fondamentaux tels que l'Amour, la Famille, la Patrie, le Travail, l'Éducation, la Santé vont être utilisés de façon perverse et justifier toutes les violences avec le « c'est pour ton Bien » dénoncé par Alice Miller.


La violence est avec le mensonge et la mise en scène un instrument indispensable pour faire perdurer les inégalités, et elle est un instrument formidable pour soumettre et réduire en esclavage les personnes décrétées « inférieures », en portant atteinte à l'intégrité et à la dignité des personnes qui la subissent, et en générant des troubles qui vont les « paralyser et robotiser ». Personne n'y retrouvera à dire, ni ne tentera de protéger ces victimes puisqu'elles sont faites pour cela. Mais la violence est aussi pour celui qui la commet une drogue, un puissant anesthésique émotionnel, indispensable pour échapper à des émotions (peur, angoisses, très souvent liées à une mémoire traumatique, honte, culpabilité) qui sinon seraient un frein puissant à la possibilité de transgresser, de mentir et d'être violent.

Pour alimenter une anesthésie émotionnelle permettant une toute puissance, la violence sexuelle est de loin la violence la plus efficace et la moins risquée. Elle n'a rien à voir avec un désir sexuel ni avec des pulsions sexuelles, elle est une arme très efficace pour détruire et dégrader l'autre, le réduire à l'état d'objet et se soulager de tensions.


Ce sont donc les victimes de violences sexuelles qui vont subir les plus grandes injustices : les victimes traumatisées subissent des injustices en cascade : injustice d'être des victimes innocentes d'une violence aveugle, piégées dans une histoire qui ne les concerne pas (c’est l’agression sexuelle qui est un délit, le viol qui est un crime, pas le fait d’être court vêtue ou d’entrer dans la chambre d’un homme !) ; injustice d'être victimes d'une société qui les expose doublement, d'une part en créant un contexte inégalitaire qui permet à des agresseurs d'utiliser leur position dominante pour les instrumentaliser, et d'autre part en ne mettant pas tous les moyens politiques en œuvre pour lutter contre les violences ; victimes de leur entourage qui ne veut ni voir, ni savoir, ni entendre, ni dénoncer ce qu'elles subissent dans l'intimité d'une famille, d'un couple, d'une relation ou dans l'espace clos d'un travail, d'une institution ; victimes de toute une maltraitance commise par des professionnels censés les protéger, leur venir en aide, leur rendre justice et les soigner, qui souvent ne les croient pas, banalisent les violences et sous-estiment le danger qu'elles courent et les conséquences qu'elles subissent, par manque de formation surtout, mais aussi par négligence et manque d'empathie ; victimes de l'injustice désespérante de voir des agresseurs bénéficier dans l'immense majorité des cas d'une impunité totale, faute d'être dénoncés, d’être mis en examen, d’être déférés devant un tribunal ou d’être condamnés par une justice encore trop parasitée par de nombreuses idées reçues sur les victimes et les violences, et qui méconnaît de nombreux indices et de nombreuses preuves médicales, les agresseurs pouvant alors continuer à exercer des violences en toute tranquillité ; victimes de l'injustice d'être celles qui en fin de compte se retrouvent condamnées à souffrir, à se battre et à devoir se justifier sans cesse, à supporter mépris, critiques et jugements, à entendre des discours moralisateurs et culpabilisants pour des symptômes que personne ne pense à relier aux violences.

Il est essentiel de reconnaître, de protéger, d'accompagner et de soigner les victimes de violences sexuelles pour éviter des vies fracassées, il est tout aussi essentiel de lutter contre toutes les inégalités, mais nous sommes encore loin de compte… La violence, utilisée comme une drogue pour s'anesthésier et s'auto-traiter, génère de la violence dans un processus sans fin. L'ONU en 2010 a souligné qu'un des principaux risques de subir et de commettre des violences sexuelles est d'avoir subi des violences dans l'enfance. Protéger les victimes, traiter les agresseur est le meilleur moyen pour sortir de ce cercle infernal. (cf l'article de Muriel Salmona : Lutter contre les violences passe avant tout par la protection des victimes http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/combattre-la-violence.html, et la campagne 2011 de l'association sur Violences et Soins et sa pétition à signer: http://stopauxviolences.blogspot.com/2011/03/campagne-de-lassociation-violences-et.html

Pour le Bureau de l'Association


Dre Muriel Salmona

Psychiatre - Psychotraumatologue

Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie

Présidente de l'Association

Mémoire Traumatique et Victimologie

drmsalmona@gmail.com


Sokhna Fall

Ethnologue, victimologue, thérapeute familiale

Vice-présidente de l'association

Mémoire Traumatique et Victimologie


Dre Judith Trinquart

Médecin légiste

Secrétaire générale de l'association

Mémoire Traumatique et Victimologie



Dr Jean-Pierre Salmona

cardiologue

Trésorier de l'association

Mémoire Traumatique et Victimologie





www.memoiretraumatique.org




dimanche 22 mai 2011

communique de l'Association Femmes pour le dire, Femmes pour agir a propos de l'affaire DSK


Paris le 22 mai 2011


pastedGraphic.pdf Femmes pour le dire, Femmes pour agir


http://www.femmespourledire.asso.fr/




Oublions un instant Monsieur Dominique Strauss-Kahn. Coupable ? Pas coupable ? Peu importe. La justice américaine fait son chemin, indépendamment de nos états d’âme.

Ce qui nous semble important, ce sont les commentaires qui se sont répandus dans la presse, sur les ondes, à la télévision autour de cet évènement. C’est cette ahurissante régression idéologique qui s’est exprimée depuis quelques semaines en France. Cette « beauffrerie machiste » pour reprendre les termes d’un article de Médiapart du 20 mai 2011.


- Qu’est-ce que l’amour ?

La rencontre de deux personnes et de deux corps dans un échange librement consenti.

- Qu’est-ce que la prostitution ?

L’échange d’une jouissance passagère contre une somme d’argent.

- Qu’est-ce que le viol ?

L’imposition par la force et la violence d’un rapport sexuel contre la souffrance et la honte de la victime.


L’association « Femme pour le Dire, Femmes pour Agir », qui rassemble des femmes en situation de handicap et qui milite pour la citoyenneté pleine et entière des femmes handicapées, tient à exprimer son indignation face aux commentaires de l’affaire Strauss-Kahn tendant à minimiser et à banaliser la réalité du viol, oubliant que le viol est un crime, en France, depuis 1810 et qu’il est passible de 15 ans de réclusion criminelle depuis 1980. Comment peut-on entendre, de la part de responsable politiques, exerçant ou voulant exercer le pouvoir dans notre démocratie, des stéréotype misogynes d’un autre âge tels que « Troussage de jupons », « Tartufferie », « Partie de jambes en l’air sur une meule de foin », et puis cette admiration sans bornes face à la verdeur de nos (vieux) leaders !


Notre association rappelle que les femmes handicapées, du fait de leur singularité, se trouvent être plus vulnérables à toutes les agressions verbales et physiques et notamment sexuelles. Le handicap sensoriel (personnes aveugles ou sourdes), le handicap moteur (personnes en fauteuil ou avec béquilles), les handicaps psychiques, les handicaps dits « invisibles » font des personnes qui en sont atteintes des proies faciles à intimider, tromper, violenter. Si 36% de femmes valides subissent une violence dans leur vie, ce sont 72% des femmes handicapées qui en sont victimes. Porter plainte leur est plus difficile qu’aux autres, elles sont moins crues que les autres par la Police. Elles sont de plus muselées par la honte, par la culpabilité, face au déni de leur entourage.

Si une femme sur dix seulement ose porter plainte après une agression sexuelle, qu’en est-il des femmes handicapées ! Celles qui ont le courage de le faire doivent être soutenues et respectées. Seules la parole et l’écoute peuvent les aider à se libérer de leurs traumatismes et à se reconstruire.


Nous exigeons de nos responsables politiques, des responsables de partis, des élus de tous bords, qu’ils condamnent sans ambiguïté le viol, toutes violences envers les femmes, et en particulier envers les plus vulnérables d’entre elles.


Maudy Piot, présidente de FDFA


16, rue Emile Duclaux, 75015 – Paris Tél. 01 45 66 63 97

fdfa.asso@free.fr

www.femmespourledire.asso.fr

mercredi 18 mai 2011

VIOLENCES SEXUELLES COMMISES SUR DES MINEURS par Muriel Salmona

Article de Muriel Salmona publié en aout 2010 sur le site memoiretraumatique.org

http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/violences-sexuelles.html


1) Des agresseurs au long cours

Les violences sexuelles commises sur les enfants (il faut éviter de parler d'abus sexuels, terme qui peut sous-entendre qu'un acte sexuel serait possible s'il n'était pas abusif) font partie des violences les plus impensables et les plus insensées, elles peuvent être commises sur des enfants très jeunes, voire même des bébés. En cela elles génèrent chez les agresseurs (qu'il vaut mieux nommer pédocriminels plutôt que pédophiles) des stress encore plus extrêmes puisqu'il s'agit de violences inouïes, et des disjonctions encore plus violentes, avec des quantités très importantes de drogues dissociantes sécrétées par le cerveau, et donc des addictions sévères à ces violences. Ces prédateurs deviennent des toxicomanes à la pédocriminalité, avec une dépendance à cette violence extrême qu'ils recherchent en permanence, mettant en œuvre des stratégies et des scénarios très élaborés pour piéger leurs victimes. Le plus souvent ils agressent toute leur vie de nombreux enfants, avec une longue carrière de criminels ; ils peuvent commencer tôt à l'adolescence, puis continuer dans le cadre de leur famille (leurs enfants, leurs neveux et nièces), dans le cadre de leur travail (qu'ils peuvent choisir en fonction de la possibilité qu'il offre de côtoyer de près des enfants : enseignants, éducateurs, entraîneurs sportifs, professionnels du soin, etc.), ou de la possibilité de faire des voyages professionnels dans des pays où ils pourront accéder facilement à des enfants en situation de grande vulnérabilité ou prostitués, puis dans le cadre de leur fonction de grands-parents. Parallèlement ce sont aussi fréquemment des producteurs et des consommateurs de pédopornographie (photos, vidéo par l'intermédiaire des sites internet) et de prostitution enfantine.
Il est donc essentiel de tout faire pour arrêter le plus tôt possible ces agresseurs, de les confronter à la loi et de les traiter avant qu'ils ne deviennent de redoutables prédateurs. Pour cela il faut les identifier et surtout repérer les victimes et les prendre en charge aussitôt. De plus, il est très rare qu'une victime d'un agresseur soit la seule a avoir subi des violences sexuelles, que ce soit dans une famille, dans une institution ou autre, il est alors essentiel de chercher d'autres victimes potentielles et de protéger les autres enfants.

2) Des enfants trahis


Les enfants face aux adultes sont dans une grande situation de vulnérabilité et d'assujettissement, du fait de leur dépendance affective, physique et matérielle totale, de leur impuissance, de leur immaturité psychique, physiologique et neurologique, de leur manque d'expérience et de leur manque de connaissance particulièrement dans le domaine de la sexualité, et de leur situation d'être en construction et en devenir. Les violences sexuelle commises envers les enfants par un adulte de la famille ou par un adulte ayant autorité constituent de ce fait, en plus de l'atteinte à l'intégrité physique et psychique, un grave abus de confiance et de pouvoir de la part d'adultes. Elles génèrent chez l'enfant un sentiment de trahison qui entraînera même à l'âge adulte une absence de confiance vis à vis du monde, avec la sensation de ne pas y appartenir et de s'y sentir complètement étranger. Cette absence de confiance s'accompagnera souvent d'une peur vis à vis de toute relation intime avec autrui. Les enfants victimes de violences sexuelles sur leur lieu de vie vivent dans un climat de grande insécurité et de terreur, toute leur énergie passe dans la mise en place de stratégies de survie et de défense.

3) Des conséquences psychotraumatiques catastrophiques


Ces violences sont très souvent répétées et durent parfois de nombreuses années (inceste), avec l'obligation de rester en contact avec l'agresseur. Elles ont des conséquences psychotraumatiques dramatiques, les violences sexuelles répétées sont de plus en plus traumatisantes et aboutissent à l'installation d'une mémoire traumatique qui génère une souffrance intolérable. L'enfant, s'il n'est pas protégé, pris en charge et soigné, n'a pas d'autre possibilité pour survivre que de mettre en place des stratégies de défense qui passent par un état dissociatif permanent, avec une une anesthésie émotionnelle et une dépersonnalisation. Du fait de cet état permanent, les violences paraissent irréelles, comme si elles n'avaient pas vraiment existé. Et ces stratégies de survie sont souvent responsables, après la fin des violences, de longues périodes d'amnésie psychogène, les souvenirs pouvant revenir longtemps après, à l'âge adulte, à l'occasion d'un lien, d'une autre agression, d'une rencontre amoureuse, d'une naissance, d'un enfant qui atteint l'âge auquel les violences ont commencé, d'un deuil, d'une intervention chirurgicale, etc.

4) La pédocriminalité, la traite des enfants et la pédopornographie sur internet


Selon un récent rapport du Conseil des droits de l’homme de l'ONU (septembre 2009) cité sur le site de l'association Innocence en danger, http://innocenceendanger.org, il y aurait plus de 600000 sites pédopornographiques sur internet, et 4 millions de sites proposant des photos de mineurs. 1 enfant sur 5 aujourd'hui a été sollicité sexuellement sur internet. Et 40 % des 11-17 ans ont été au moins une fois confrontés à des informations ou à des images choquantes ou traumatisantes sur internet (DIF 2007). En Europe, la France est le 2e consommateur de pédopornographie sur Internet après l’Allemagne, et c’est le 4e dans le monde (OCRVP-Office central de répression des violences aux personnes, juin 2008). En juin 2007, 4.465 signalements de sites pédo-pornographiques ont été faits à OCLCTIC (Office central de lutte contre la Criminalité liée aux technologies de l’information et le communication).
Cependant 60% des rencontres malencontreuses avec des pédocriminels ne sont pas signalées car les gens n’osent pas dénoncer ou ne savent pas à qui ni où s’adresser.
Une campagne nationale d’information a été lancée en 2008 pour informer le grand public et faire connaître la Plateforme de signalement de la police ; mais le site de protection des mineurs du ministère de la Justice pour lutter contre la pédophilie, https://www.internet-mineurs.gouv.fr, renvoie maintenant sur un site du ministère de l'Intérieur,https://www.internet-signalement.gouv.fr, qui permet de signaler des sites pédocriminels mais n'aborde plus directement les dangers de la pédocriminalité. La mobilisation des pouvoirs publics est notoirement insuffisante pour lutter contre la traite sexuelle des enfants, le tourisme sexuel et la pédocriminalité sur internet. Bien que des arrestations d'utilisateurs de sites pédopornographiques soient régulièrement et médiatiquement annoncées, les enfants piégés dans cette activité criminelle ne bénéficient pas d'une recherche active pour les identifier et les retrouver, alors que ces enfants sont en très grand danger et qu'il faudrait tout faire pour les retrouver et les soigner. Le journaliste Serge Garde a réalisé un documentaire très détaillé, dans lequel j'ai été interviewée, sur le «fichier de la honte», le fichier de Zandwoort, un CD ROM pédopornographique de 8000 photos, pour dénoncer le traitement policier et judiciaire qui en a été fait : http://www.13emerue.fr/webtv/les-faits-karl-zero/les-faits-karl-zero-le-fichier-de-la-honte.htm

5) Les mutilations sexuelles féminines


Elles font également partie des violences sexuelles commises sur les mineurs. Ce sont toutes les interventions pratiquées sur les organes génitaux féminins sans raison médicale. Actuellement, entre 130 et 140 millions de fillettes et de femmes ont subi une mutilation sexuelle et, chaque année, deux millions de fillettes dans le monde sont encore soumises à cette pratique catastrophique pour leur santé physique et psychique, avec des conséquences très importante sur leur sexualité future et leur avenir obstétrical. En France, 30 000 femmes et fillettes sont excisées et 20 000 ont un risque de l'être. Les mutilations sont le plus souvent pratiquées sur des fillettes.
Les mutilations sexuelles féminines sont l'excision (type I et II) qui est une ablation totale ou partielle du clitoris (type I) et des petites lèvres (type II), la plus fréquente en France, Afrique de l'Ouest et Egypte, et l'infibulation (type III) qui est une ablation du clitoris et de la totalité des petites et grandes lèvres, avec suture des berges de la vulve et rétrécissement de l'orifice vaginal (la vulve devient une cicatrice très dure qu'il faudra inciser lors du mariage, des accouchements) pratiquée surtout en Afrique de l'Est. Si la mutilation est commise sur un mineur de moins de 15 ans, par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur, il s’agit d’un crime* qui peut-être puni de 20 ans de réclusion criminelle, une action en justice pouvant être engagée jusqu’à 20 ans après la majorité de la victime. La loi française s'applique aussi quand la mutilation est commise à l'étranger, l'auteur, qu'il soit français ou étranger, pourra être poursuivi en France à condition que la victime soit française ou qu'elle réside habituellement en France.
Pour plus d'informations, consulter le site du GAMS


Dr Muriel Salmona

Psychiatre - Psychotraumatologue

Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie

Présidente de l'Association

Mémoire Traumatique et Victimologie

drmsalmona@gmail.com

www.memoiretraumatique.org

article publié en aout 2010 sur le site memoiretraumatique.org

POUR EN SAVOIR PLUS :http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/violences-sexuelles.html



VIOLENCES SEXUELLES : HISTORIQUE DE LEUR PRISE EN COMPTE PAR LE LÉGISLATEUR, ET LEURS CONSÉQUENCES PSYCHOTRAUMATIQUES par Muriel Salmona

Article de Muriel Salmona publié en aout 2010 sur le site memoiretraumatique.org

http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/violences-sexuelles.html


HISTORIQUE

1) La prise en compte par le législateur de cette réalité des violences sexistes et sexuelles a été tardive et reste imparfaite.

Ainsi le code pénal n'a défini le viol précisément qu'en 1980, les lois de 1989, 1995, 1998, 2004 ont élargi les délais de prescription des viols et des agressions sexuelles avec circonstances aggravantes commis sur les mineurs : la prescription, antérieurement fixée à 10 ans après les faits, est passée à 20 ans après la majorité des victimes (elles ont alors 38 ans). Le délit de harcèlement sexuel n'a été crée qu'en 1992 ; le viol conjugal (http://www.cfcv.asso.fr/php/load.php?src=d6def0d307c6f911d8bf45f1d5a1c45d.pdf&mode=1) n'a été précisément reconnu, et considéré comme une circonstance aggravante, qu'en 1994, et défini précisément dans le code pénal qu'en 2006 ; l'inceste commis sur des mineurs n'a été défini comme tel dans le code pénal qu'en 2010, ainsi que la notion de contrainte morale résultant de la différence d’âge existant entre une victime de viol et d'agression sexuelle mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime.

Avant l'adoption de ces textes, les personnes victimes de ces violences ne disposaient d'aucun recours juridique. Depuis 2008, avec la résolution 1820, les Nations-Unies estiment désormais que le viol et toute autre forme de violence sexuelle peuvent constituer «un crime de guerre, un crime contre l'humanité ou un élément constitutif du crime de génocide». De facto, ces crimes deviennent donc imprescriptibles au regard du droit international, et le Conseil de sécurité appelle à les exclure du bénéfice des mesures d'amnistie prises dans le cadre de processus de règlement de conflits. Beaucoup d'associations dont la nôtre militent aussi pour que les violences sexuelles sur mineurs, particulièrement l'inceste, soient imprescriptible (voir la page de l'association Un monde à travers un regard : http://www.lemondeatraversunregard.org/rubrique,manifeste-anti-prescription,690298.htm.

2) D'autres violences sexuelles ne sont toujours pas réprimées totalement

C’est le cas notamment de celles que représentent le système prostitutionnel et pornographique, l’achat de services sexuels représentant une atteinte à la dignité et à la valeur de la personne humaine, aux droits à l'égalité entre les hommes et les femmes, et à l'inaliénabilité du corps humain et de la sexualité. L'achat de services sexuels en France n'est pas considéré comme répréhensible par la loi, seuls le sont les délits de proxénétisme, de prostitution forcée, de prostitution des mineurs, de pédopornographie et de tourisme sexuel sur des mineurs.

Depuis 1949, la France est abolitionniste en matière de prostitution, ayant adhéré à la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, votée par l'Organisation des nations unies et ayant adhéré aussi à la CEDAW, Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. La CEDAW, dans son article 6, invitait les États à prendre «toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes» ; elle refuse donc toute réglementation de la prostitution (de type maisons closes, fichiers, contrôles sanitaires), condamne le proxénétisme et prévoit des mesures de réinsertion sociale pour les personnes prostituées. Pourtant la France compte près de 20 000 personnes prostituées, et la pornographie, particulièrement sur le net, est florissante avec des mises en scène de plus en plus violentes.

Les personnes prostituées dans le cadre de la traite ne sont pas considérées comme des victimes ; avec la loi LSI (loi sur la sécurité intérieure) sur le racolage même passif, elle peuvent être considérées comme des délinquantes, les "clients" ne sont pas considérés comme des auteurs de violences sauf si les personnes prostituées sont mineures (ce qui reste très rarement pénalisé), contrairement à ce qui se passe dans des pays comme la Suède et la Norvège qui les pénalisent. A ce sujet le lecteur peut télécharger la traduction française du rapport montrant que cette pénalisation de l'achat de services sexuels a eu en Suède l'effet escompté. La société reste dans son ensemble très tolérante vis à vis de l'achat de services sexuels et de la consommation de pornographie, sous le prétexte mystificateur de besoins sexuels masculins prétendument irrépressibles (les "clients" sont dans leur écrasante majorité des hommes) et du service rendu par la prostitution qui permettraient d'éviter de nombreux viols (ce qui est totalement faux). Il s'agirait donc d'un mal nécessaire et, comme dans les pays dits réglementaristes, la prostitution pourrait même être envisagée comme une profession au même titre que les autres, cf. l’article du Dr Judith Trinquart Non, la prostitution n’est pas une profession

La mesure n'est pas prise de l'atteinte à la dignité des personnes prostituées, de l'esclavage sexuel que cela suppose, de l'extrême violence à laquelle sont exposées les personnes prostituées et des graves conséquences psychotraumatiques qui en résultent, cf mon interview par Claudine Le Gardinier dans Prostitution et société

Peu de personne savent que la majorité des hommes, heureusement, n'ont pas recours à la prostitution et à la pornographie, que ceux qui y ont recours ont souvent un comportement addictif et sont fréquemment violents verbalement et physiquement, voire très violents, avec les personnes prostituées, que celles-ci subissent des violences graves, fréquentes et répétées. 71% d'entre elles ont subis des violences physiques avec dommages corporels (commis par les clients et les proxénètes), 63% ont subi des viols, 64% ont été menacées avec des armes, 75% se sont retrouvées SDF (sans domicile fixe) pendant leur parcours, 89% veulent sortir de la prostitution. De plus la majorité des personnes prostituées ont subi des violences depuis la petite enfance, avec des maltraitances graves dont des agressions sexuelles répétées pour 55 à 90% d'entre elles (63% avec en moyenne quatre agresseurs pour chaque enfant dans l'étude de Melissa Farley, réalisée en 2003 dans 9 pays sur 854 personnes prostituées) ; et il ne faut pas oublier que la majorité des situations prostitutionnelles débutent avant 18 ans (en moyenne entre 13 et 14 ans).

Les situations prostitutionnelles entraînent de graves troubles psychotraumatiques avec de 68 à 80% d'états de stress-post-traumatique chroniques - ESPT - (alors que le risque de développer un ESPT après un traumatisme dans la population générale est de 24%), accompagnés d’importants troubles de la personnalité, nécessaires pour survivre, comportant un état de dépersonnalisation, de décorporalisation, de perte d'identité, d'anesthésie émotionnelle et physique, de «robotisation», cf. la thèse du Dr Judith Trinquart à télécharger ici

LES CONSÉQUENCES PSYCHOTRAUMATIQUES SPÉCIFIQUES AUX VIOLENCES SEXUELLES

En cas de violences sexuelle, les victimes ont un risque important de développer des troubles psychotraumatiques chroniques, tel un état de stress post traumatique, risque évalué à 60% en cas d’agression sexuelle, et 80% en cas de viols.

Tous les troubles psychotraumatiques, cf CONSÉQUENCES DES PSYCHOTRAUMATISMES, sont présents avec au moment des agressions une sidération psychique, un état de stress extrême et une disjonction de sauvegarde à l'origine d'une mémoire traumatique. Les reviviscences ultérieures des violences entraînent une grande souffrance et entretiennent un sentiment de danger et d'insécurité permanents, avec mise en place secondaire de conduites de contrôle, d'hypervigilance et d'évitement, et aussi de conduites dissociantes à risques, cf. Magazine de la santé, France 5.

1) Chez l'adulte les troubles les plus spécifiques sont :

les troubles de la sexualité et des conduites sexuelles, les troubles des conduites alimentaires, les conduites à risques ; chez les victimes d'inceste s'ajoutent les troubles de la personnalité (avec une impossibilité de faire confiance, des sentiments de honte et de culpabilité, une très mauvaise estime de soi, une très grande difficulté à contrôler ses émotions) et un risque suicidaire très important (la majorité des victimes d'inceste ont tenté de se suicider).

Pour une victime de violences sexuelles, particulièrement dans l'enfance, la sexualité est un terrain miné par la mémoire traumatique, tous les gestes à connotation sexuelle sont susceptibles d'activer des réminiscences et de générer un état de mal-être, des angoisses, une sensation de danger en fonction des violences subies (par exemple s'il y a eu une pénétration buccale contrainte avec le pénis lors des violences, toute fellation peut devenir impossible dans le cadre d'une relation amoureuse, de même s'il y a eu des baisers forcés lors des violences, tout baiser pendant des relations sexuelles amoureuses consenties est évité. Et si des violences incestueuses ont été commises dans un contexte manipulatoire de caresses, toute caresse, tout préliminaire dans un contexte de rapport sexuel amoureux peuvent là aussi devenir insupportables et seront évités, alors que si les agressions sexuelles ont été extrêmement violentes avec par exemple une pénétration vaginale brutale accompagnée uniquement d'une contention des poignets, puis d'une tentative d'étranglement, des relations sexuelles souhaitées tendres avec des préliminaires seront possibles, mais si le partenaire pendant la relation sexuelle met par jeu ses mains autour du cou ou autour des poignets, cela va entraîner aussitôt une attaque de panique).

Les conduites d'évitement sont une solution, mais quand on veut avoir une vie amoureuse normale il est nécessaire de s'exposer sur le terrain de la sexualité, à moins d'avoir un conjoint qui accepte et qui comprenne qu'il n'y ait pas de possibilité d'activité sexuelle, ou qu'il n'y ait qu'une activité sexuelle très contrôlée et réduite. Cela peut poser malgré tout de gros problèmes si le couple désire avoir des enfants (souvent pour les victimes de violences incestueuses il y a une crainte de la grossesse, de l'accouchement, une crainte d'avoir des enfants et de ne pas être à la hauteur en tant que parent).

Aussi beaucoup de victimes de violences sexuelles vont avoir recours à des conduites dissociantes pour pouvoir quand même accéder à une sexualité. Cela peut être une prise d’alcool ou de drogue avant le rapport sexuel pour se trouver dans un état suffisamment dissocié et anesthésié émotionnellement pour que le rapport sexuel soit possible. Cela peut être le recours avant et pendant les relations sexuelles à des pensées ou à des scénarios hyperviolents, pouvant contenir des scénarios imaginaires de viols, de prostitutions, tellement stressant qu'ils vont déclencher aussitôt une disjonction et créer un état de dissociation et d'anesthésie émotionnelle. Cela peut être le recours à des pratiques sexuelles violentes, sado-masochistes, ou à risque (sans protection avec un risque d'exposition aux maladies sexuellement transmissibles et un risque de grossesse, avec des inconnus, avec des partenaires violents, dans des lieux dangereux, des clubs échangistes, ou dans le cadre de situation prostitutionnelle). Le visionnage de films pornographiques aura le même pouvoir stressant puis disjonctant et anesthésiant (ces conduites dissociantes ont été très bien mises en scène dans des films comme «Belle de jour» de Louis Bunuel et «La pianiste» de Mickael Haneke). Ces pratiques ont un haut potentiel addictif et deviendront compulsives du fait de la dépendance aux drogues dissociantes morphine-like et kétamine-like sécrétées par le cerveau lors des disjonctions provoquées par les conduites dissociantes.

En dehors des relations sexuelles avec un partenaire, les victimes de violences sexuelles peuvent avoir parfois depuis l'enfance des conduites dissociantes sexuelles, seules sur elle-même, en se cachant (les petits enfants peuvent les avoir en public, à l'école), telles qu'une masturbation compulsive, une addiction à la pornographie, des scénarios fantasmés de violences, et des mises en actes de sévices sur elles-mêmes (en reproduisant les violences subies), avec de possibles auto-mutilations. L'addiction au stress est trompeuse, elle peut passer pour une excitation sexuelle, ce qu'elle n'est pas, et la disjonction avec la sécrétion par le cerveau en flash de drogues dissociantes morphine-like et kétamine-like peut être confondue avec un orgasme. Ces comportements, ces pensées, ces pratiques compulsives sont le plus souvent très douloureusement vécues, car ce n'est pas ce que voudraient vivre les personnes, elles ne les comprennent pas et se sentent coupables et honteuses. Les troubles détaillés ci dessous sont donc des conséquences logiques des violences sexuelles.

- a) Les troubles de l'activité sexuelle :

  • soit un évitement de l’activité sexuelle et des rapprochements amoureux, pouvant aller jusqu’à une phobie de l'acte sexuel, un évitement de tout contact, un dégoût pour la sexualité ou pour certaines pratiques habituelles (baiser sur la bouche, pénétration, rapport bucco-génitaux, certaines caresses).
  • soit une difficulté à avoir des rapports sexuels même s'ils sont souhaités, avec une trop grande angoisse, voire des attaques de panique, des nausées, ou bien un vaginisme rendant toute pénétration difficile ou impossible.
  • soit une absence de plaisir lors des rapports sexuels, absence de toute sensation avec une anesthésie corporelle aux niveau des organes génitaux et des zones habituellement érogènes.
  • soit au contraire des conduites d'hypersexualisation, de sexualité à risque ou d'addiction sexuelle

- b) Les conduites d'évitement

Elles sont en rapport avec les violences sexuelles, avec une peur ou une véritable phobie des examens gynécologiques, de la grossesse, des infections urinaires, etc.

- c) Les auto-mutilations (scarifications), les conduites à risques, les tentatives de suicide répétées, les comportements sexuels à risque, avec des risques de contamination, de grossesses non désirés, d'IVG à répétition, et de nouvelles violences sexuelles.

- d) Les conduites addictives : alcool, drogues, tabac, médicaments, jeux.

- e) Les troubles du comportement alimentaire : phobies alimentaires, boulimie souvent accompagnée de vomissements et associée à une anorexie, obésité…

- f) les troubles anxio-dépressifs très fréquents et les troubles graves de la personnalité : personnalité traumatique de type personnalité limite, personnalités multiples ou personnalité asociale.

2) Chez l'enfant les troubles les plus spécifiques sont :

- a) Des comportements sexuels inappropriés : masturbation compulsive, exhibitions, auto-mutilations sexuelles, comportements et des propos sexualisés, dessins et des jeux sexualisés compulsifs, agressions sexuelles sur d'autres enfants.

- b) Un changement brutal de comportement : apparition d'un état d'agitation, de tristesse avec des propos dépressifs, repli sur soi, mutisme, pleurs, mises en danger avec accidents à répétitions, agressivité…

- c) Des symptômes régressifs, avec développement d'une grande angoisse de séparation, réapparition de comportements qui avaient disparu en grandissant comme sucer son pouce, parler bébé, se balancer, faire pipi au lit, avec une perte de l'autonomie…

- d) L’apparition soudaine de comportements de peurs et de phobies, peur du noir, de certains adultes et de certaines situations, peur d'être enfermé, peur de la toilette, d'aller au WC. Il peut également y avoir une phobie sociale, une phobie de l'école, des attaques de panique…

- e) Des douleurs, des lésions et des symptômes génito-urinaires et anaux, des douleurs et des troubles digestifs et alimentaires : constipation, encoprésie (faire caca dans sa culotte), nausées, vomissements, anorexie et/ou boulimie…

- f) Des troubles du sommeil, de la concentration et de l'attention, des troubles cognitifs avec une chute des résultats scolaires, et un arrêt des activités extra-scolaires…

3) chez l'adolescent les troubles les plus spécifiques sont :

- a) Des conduites à risques : nombreuses mises en danger entraînant des accidents à répétition, jeux dangereux, actes de délinquances, violences agies, conduites addictives (alcool, tabac, drogues, jeux internet, sites pornographiques), fugues à répétition, conduites sexuelles compulsives à risque, avec multiplication des partenaires, parfois des inconnus, sans protection, voire des situations prostitutionnelles, grossesses précoces, IVG à répétition, départ précoce du domicile familial, avec un risque élevé de subir de nouvelles violences.

- b) Des conduites auto-agressives : tentatives de suicides répétées, auto-mutilations (scarifications)…

- c) Des troubles de l'humeur, des troubles phobo-anxieux et des troubles de la personnalité : douleur morale intense, idées suicidaires fréquentes, isolement et retrait, comportements de peur et d'évitement phobique, crises d'angoisse, refus de la sexualité, refus de grandir et de devenir adulte, sentiment d'étrangeté, d'être différent et incompris, perte de confiance, mauvaise estime de soi, troubles de la personnalité de type border-line…

- e) Des troubles du comportements alimentaires et des troubles du sommeil (insomnies, réveils nocturnes, cauchemars)…

- f) Des échecs scolaires : phobie scolaire voire abandon scolaire, absentéisme scolaire, troubles de la concentration, de l'attention et de la mémoire.

- g) Des symptômes somatiques fréquents : fatigue chronique, céphalées, cystites à répétition, règles très douloureuses, douleurs pelviennes, ballonnements, nausées et vomissements, palpitations…

Dr Muriel Salmona

Psychiatre - Psychotraumatologue

Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie

Présidente de l'Association

Mémoire Traumatique et Victimologie

drmsalmona@gmail.com

www.memoiretraumatique.org

article publié en aout 2010 sur le site memoiretraumatique.org

POUR EN SAVOIR PLUS :http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/violences-sexuelles.html